lundi 28 mars 2011

Revue Philosophie n°109 : Philosophie(s) française(s)

2011 – Editions de Minuit – 10 €

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PHILOSOPHIE(S) FRANÇAISE(S) : le pluriel est destiné à mettre en question l'unité intrinsèque de la philosophie française – simple idéal-type permettant de repérer dans l'histoire certaines convergences thématiques ou méthodologiques ? – et son autonomie – tant elle apparaît redevable aux grandes figures de la philosophie allemande (Husserl, Heidegger, le Cercle de Vienne, etc.). Les auteurs de ce numéro, « spécialistes » de philosophie française, ont réfléchi sur leur praxis exégétique et le statut de l'identité implicite du thème « philosophie française », qui est censé se situer en son foyer.
Dans « Pour une histoire souterraine de la pensée française », Frédéric Fruteau de Laclos en propose une anamnèse : remémoration des conjonctures qui, en privilégiant certaines thèses et courants, ont occulté des options originales jugées marginales. Cette anamnèse lui paraît nécessaire à la remise en chantier de philosophèmes passés, et notamment à la réactivation, par-delà le structuralisme et l’individualisme méthodologique, des thèses de la psychologie historique fondée par Ignace Meyerson – dont il suit les traces chez le jeune Foucault, François Châtelet et Olivier Revault d’Allonnes.
Dans « Descartes et les trois voies de la philosophie française », Camille Riquier s'intéresse à la reprise au XXe siècle de thèmes de la philosophie cartésienne, pour montrer que des tendances fondamentales de la philosophie française ont leur origine dans le déploiement unilatéral de l'une des voies du cartésianisme : celles du cogito, du système et des modernes. Malgré l'inspiration essentielle qu'elle reçoit de la philosophie allemande, la philosophie française ne se comprendrait donc que par son réinvestissement du texte cartésien, qui en constituerait le foyer implicite.
Dans « Portées du nom Bergson. Portrait de groupe avec philosophe », Giuseppe Bianco envisage la philosophie française contemporaine sous l’angle d’une socio-histoire des pratiques philosophiques, qui en montre le conditionnement par des changements de nature extra-philosophique. Dévoilant les contextes stratégiques où le bergsonisme a servi à faire, défaire et refaire la ligne de partage de la pensée française, il remet en question celle qui fut instaurée par Foucault, puis réajustée par Badiou, entre un mysticisme vitaliste qui remonterait à Bergson, et un mathématisme trouvant sa source chez Brunschvicg.
Dans « L’invention de l’homme moderne. Une lecture de Michel Foucault », Guillaume Le Blanc interroge la généalogie de la question de l'homme chez ce dernier, montrant que loin de se laisser reconduire à la seule figure kantienne, elle s'inscrit dans le registre éthique et politique de l'invention ; et que la référence à la vie inventive forme le canevas théorique majeur d’un foyer de la philosophie française où s'intègrent des auteurs aussi distincts que Canguilhem, Foucault, Deleuze et Derrida, mais aussi Sartre, Merleau-Ponty et de Certeau.
Enfin, dans « La vie dans la philosophie du XXe siècle en France », Frédéric Worms, loin de postuler une continuité thématique ou méthodologique centrée sur la vie, montre comment celle-ci fut pensée différemment selon les moments qu’elle a traversés, impliquant des ruptures dans la manière dont la question fut à chaque fois thématisée. À travers les problèmes qui se posaient – ceux de l’esprit, de l’existence, du langage et du pouvoir –, ce serait la vie elle-même qui, à chaque fois, dévoilerait l'une de ses dimensions. Aussi est-ce le moment présent qui, de plus en plus, serait amené à penser la vie dans sa tension irréductible et ultime. D. P.

Sommaire

Camille RIQUIER, Présentation
Frédéric FRUTEAU DE LACLOS, Pour une histoire souterraine de la pensée française
Camille RIQUIER, Descartes et les trois voies de la philosophie française
Giuseppe BIANCO, Portées du nom Bergson. Portrait de groupe avec philosophe
Guillaume LE BLANC, L'invention de l'homme moderne. Une lecture de Michel Foucault
Frédéric WORMS, La vie dans la philosophie du XXe siècle en France
Notes de lecture

lundi 21 mars 2011

Les écarts du cinéma

Jacques Rancière

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A paraître : avril 2011 – La Fabrique – 15 €

On rencontre souvent la notion d’ « écart » chez Rancière, toujours soucieux de « faire du deux avec de l’un ». Appliquée au cinéma, l’écart porte aussi bien sur la nature de la cinéphilie, qui lie le culte de l’art et la démocratie des divertissements, sur le rapport compliqué entre cinéma et politique, ou encore sur l’unité même de cet art, forme d’émotion ou vision du monde. Peut-être faut-il se demander « si le cinéma n’existe pas justement sous la forme de ce système d’écarts irréductibles entre des choses qui portent le même nom sans être des membres d’un même corps ».
C’est à partir de questions de cet ordre que Rancière convoque Bresson, Straub et Huillet, Pedro Costa, mais aussi Minelli et Hitchcock. Les films dont il parle, il ne les raconte pas, il ne les commente pas non plus comme ferait un journaliste – il montre ce que, sans lui, nous ne verrions sans doute pas, comme par exemple le rôle des flammes et de la fumée chez Minelli : « Feux d’artifice de Meet me in Saint Louis, flammes imaginaires au sein desquelles Manuela voit l’acteur Serafin métamorphosé en Macoco le pirate (Le Pirate), flammes “réelles” d’une voiture allemande que la Résistance fait exploser, feu de cheminée dans l’hacienda du vieux Madariagga ou foudre conjuguée de l’orage et de l’apocalypse sur le patriarche abattu (Les Quatre cavaliers de l’Apocalypse). »

Vertige de l'image

Laurent Van Eynde

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Mars 2011 – PUF - Collection "Lignes d'art" – 24 €

Cet essai propose une analyse de six films majeurs d’Alfred Hitchcock dans la perspective d’une contribution à une philosophie de l’image et de ses formes. L’art d’Hitchcock est tout entier dans un acte de création spécifiquement cinématographique, constituant une image autosuffisante, clôturée sur elle-même, mais dès lors coupable également de se substituer au « réel » par une composition formelle si cohérente qu’elle en devient nécessaire. Un double mouvement caractérise la création hitchcockienne : l’institution de l’image comme une totalité insulaire, et la réflexivité par laquelle l’image se montre intimement coupable de ce qu’elle crée. L’ambiguïté appartient à l’image autant que sa puissance résolue.

Table des matières

Introduction
PREMIÈRE PARTIE. — L’IMAGE EST UNE ÎLE
Chapitre premier. Les limites du cadre et leur transgression : The Manxman
Narration et forme
Tant qu’à parler de sinthome…
Chapitre II. Le plan long et son reflet : Under Capricorn
Abstraction de la chronotopie
Mouvement et plan-séquence
Ambivalence du langage
Du double au triple et du triple au double
DEUXIÈME PARTIE. — L’IMAGE EST UN TOUT
Chapitre premier. Puissance et maléfice : Strangers on a Train
Montage alterné et totalisation
Soi-même comme un double
L’unitotalité du cadre au cercle
Le mauvais œil ou la caméra maléfique
Chapitre II. Pouvoir et impouvoir : Vertigo
L’auteur et sa création
Figures et intensification
Vision et narration
L’illusion de la démiurgie
TROISIÈME PARTIE. — L’IMAGE EST UNE FAUTE
Chapitre premier. Rendez-vous au tribunal ? The Birds
Voir et ouïr : vers l’in-différence anthropologique
L’arythmie du temps et la saturation de l’espace
De la faute à l’autosacrifice
Chapitre II. Le fondu enchaîné de la culpabilité : The Wrong Man
Le double et son temps
Le corps et son espace
Conclusion

mercredi 16 mars 2011

Philosophie du vivre

François Jullien

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Mars 2011 - Gallimard, coll. "Bibliothèque des idées – 19,90 €

Vivre nous tend entre l'un et l'autre : il dit à la fois l'élémentaire de notre condition - être en vie - et l'absolu de notre aspiration : "Vivre enfin!" Car que pourrions-nous désirer d'autre que vivre? Vivre est en quoi nous nous trouvons toujours déjà engagés en même temps que nous ne parvenons jamais - pleinement - à y accéder. Aussi la tentation de la philosophie, depuis les Grecs, a-t-elle été de le dédoubler : d'opposer au vivre répétitif, cantonné au biologique, ce qu'elle appellera, le projetant dans l'Etre, la " vraie vie". Refusant ce report et circulant entre pensée extrême-orientale et philosophie, j'envisagerai ici quels concepts peuvent faire entrer dans une philosophie du vivre : le moment, l'essor opposé à l'étalement, l'entre et l'ambiguïté; ou ce que j'appellerai enfin, prenant l'expression en Chine, la "transparence du matin ". Je me demanderai, plus généralement, comment chaque concept, pour se saisir du vivre, doit s'ouvrir à son opposé. Car comment s'élever à l'ici et maintenant sans se laisser absorber dans cet immédiat, ni non plus le délaisser? Ce qui impliquera de développer une stratégie du vivre en lieu et place de la morale. Le risque est sinon d'abandonner ce vivre aux truismes de la sagesse; ou bien au grand marché du développement personnel comme au bazar de l'exotisme. Car cet entre-deux, entre santé et spiritualité, la philosophie ne l'a-t-elle pas - hélas! - imprudemment laissé en friche? (Présentation de l'éditeur)

mercredi 9 mars 2011

Maurice Blanchot, passion politique

Jean-Luc Nancy

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Mars 2011 – Galilée – 14 €

En 1984, les Cahiers de L’Herne m’invitèrent à organiser un numéro consacré à Maurice Blanchot. Parmi les raisons qui, avec Philippe Lacoue-Labarthe, nous poussèrent à vouloir réaliser ce projet, il y avait celle liée aux récentes publications concernant les positions politiques du Blanchot des années 1930 : nous voulions saisir l’occasion d’engager avec lui un échange sur cette question, afin de dépasser l’affrontement grossier des accusations et des défenses tel qu’il se jouait alors dans les magazines.

À travers quelques échanges de lettres, Blanchot en vint à concevoir l’idée de rassembler des remarques éparses sous la forme d’un document – qu’il nomma « récit » dans une lettre à Roger Laporte, publiée ici – qui aurait en quelque sorte valeur de déclaration préliminaire à un entretien futur. Quel est l’enjeu de cette lettre ? Il est moins, à mon sens, dans ce qu’elle ouvre de vérité historique et psychologique (qui n’est certes pas négligeable) que dans le fait qu’elle oblige à nous demander comment, à partir d’où et selon quelles interrogations nous devons la lire.

Cette obligation est liée à celle qui a poussé Maurice Blanchot à écrire ce document assez singulier au milieu tant de sa correspondance que de son œuvre. En 1984, et devant une proposition de discussion autour de son passé politique dont il savait qu’elle n’était ni agressive ni soupçonneuse – bien qu’elle ne fût en rien complaisante –, il pouvait sentir et comprendre que s’offrait une autre disposition que celle des procureurs empressés. Il pouvait avoir confiance dans la possibilité d’une explication – ce qui n’est en rien équivalent à une justification. Il ne s’agit pas du tout de justifier ni même d’excuser les pensées et les déclarations de Blanchot. Il ne s’agit d’ignorer aucun aspect de ses convictions politiques ni de ce qu’elles ont pu impliquer d’engagement, fût-il seulement celui de la plume.

On s’exclame « il était d’extrême droite ! », voire « il était fasciste ! » et cela signifie : « il fallait être de gauche, il fallait être antifasciste ! ». On pense désigner ainsi une sorte d’évidence pérenne de la « gauche » qui se confond à peu près, en fait, avec la profession de foi des droits de l’homme et de la démocratie parlementaire – et cela d’autant mieux qu’il est devenu difficile de parler même de « socialisme ». Il est vrai qu’il n’en était pas ainsi il y a vingt-cinq ans. Mais il est non moins vrai qu’était sensible dès ces années la nécessité d’une interrogation de grande ampleur sur le sens de la (ou « du », comme nous disions justement pour mettre l’accent sur le problème d’un concept ou d’une essence) politique.

J.-L. Nancy

Disputes philosophiques

Michel Nodé- Langlois

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Avril 2011 – Artège – 39 €

Présentation de l’éditeur - Le nom latin de disputatio, ancêtre de l’exercice scolaire et universitaire de la dissertation, recouvre l’une des plus puissantes inventions des penseurs du Moyen Age.
Elle propose une méthode originale de recherche et d’argumentation en confrontant les raisonnements des grands auteurs en philosophie afin de donner des réponses aux questions des fondements. Les leçons abordées dans cet ouvrage sont assurément une initiation à l’argumentation philosophique telle qu’elle est nécessaire à ceux qui se destinent à l’enseignement scolaire ou universitaire de la philosophie.
Mais plus encore, elles voudraient être la preuve que la forme dialectique de la pensée procure une authentique connaissance à quiconque perçoit l’importance du questionnement dans la quête de la vérité. La raison est-elle suffisante ? Peut-on expliquer l’existence ? Penser le mal. Penser l’Etat L’inhumain, sont quelques unes des questions fondamentales abordées ici.

Cioran. Ecrire à l'encontre de soi

Nicolas Cavaillès

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Avril 2011 – CNRS – 29 €

Présentation de l’éditeur - Voici l’ouvrage incontournable sur l’oeuvre de Cioran, restitué dans tous ses paradoxes, un Cioran qui, confronté au drame d’une existence absurde, trouve un sursis dans la voie esthétique et la contemplation désespérée du monde.
Une oeuvre traversée par des forces contraires, vitales et funestes, enthousiastes et blasées, amoureuses et haineuses, naïves et désabusées. C’est en s’attachant à l’analyse de son maître ouvrage, Précis de Décomposition, que Nicolas Cavaillès dévoile tout le génie du grand écrivain roumain, aussi secret que Michaux, son frère en « connaissance par les gouffres », aussi téméraire que Blanchot dans l’expérience suicidaire de l’écriture.
Par traduire cette lutte avec lui-même, sorte de pugilat métaphysique et stylistique, Cioran a recours au registre de la vocifération, du juron, de l’épitaphe, du syllogisme. Lucidité destructrice, soliloque d’un homme qui se libère de tout ce qui pèse sur son âme, mélange d’envol lyrique et de cynisme : le drame cioranien se joue sur la scène fugace et transcendantale, à la fois métaphysique et physique, mentale et corporelle, qu’est l’écriture.

dimanche 6 mars 2011

L'empire de la compassion

Paul Audi

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Février 2011 - Encre Marine – 23 €

La compassion est devenue, peu à peu, dans notre aire culturelle mondialisée, le signe de l'«humanité» en nous. À présent, sa domination non seulement sur la morale mais sur la représentation que les hommes se font d'eux-mêmes comme de leurs rapports sociaux et politiques, est si indiscutable qu'une idéologie récente comme celle du « Care » (soin, sollicitude, souci de l'autre, aide apportée à l'autre) s'y enracine entièrement. Pourquoi un tel empire ?
Pour le comprendre, ne faut-il pas se demander quand et comment l'identification de la vertu d'humanité à la compassion s'est produite ?
C'est là l'un des objectifs du présent essai qui prend son départ dans l'articulation du problème philosophique suivant : la compassion relève-t-elle de l'amour ou de la justice ?
Il m'a semblé qu'une fois définie la compassion et retracées les grandes étapes de son histoire conceptuelle (d'Aristote à Levinas), une importance toute particulière devait être accordée à la position de Nietzsche, pour qui le respect du malheur que nous nous imposons au nom de la morale représente le pire des malheurs qui puisse frapper l'humanité considérée dans sa globalité. (P.A.)

L'homme égocentré et la mystique

Ernst Tugendhat

98222100092810L

Mars 2011 - Éditions de la Maison des sciences de l'homme - Bibliothèque allemande – 23 €

« Le mot « mystique » est employé de différentes façons. Certains pensent à une illumination particulière, intuitive, mais cette signification est plutôt marginale. Plus pertinente est la conception fort répandue selon laquelle la mystique consisterait en un sentiment de l'unité du sujet et de l'objet : le mystique se voit d’une façon ou d’une autre « un » – avec Dieu, avec l’Être, avec toutes choses.

Cette idée caractérise un aspect essentiel de la plupart des conceptions mystiques à l’Est et à l’Ouest, mais à mon avis ce n’est pas l’aspect central. Je crois que toute mystique est à comprendre à partir d’un motif déterminé : le sentiment mystique de l’unité du tout [All-Einheit] ne s’empare pas simplement de quelqu’un, il est recherché. Pourquoi ? Une réponse à cette question est : les êtres humains ont besoin de la paix de l’âme.

Cette réponse conduit naturellement à de nouvelles questions. Pourquoi donc ce besoin de la paix de l’âme apparaît-il chez les êtres humains, à la différence remarquable des autres animaux ? Pas parce qu’ils souffrent, comme le disait Bouddha, car les autres animaux souffrent aussi, mais parce que leur âme se trouve dans une inquiétude que les autres animaux ne connaissent pas. Cette inquiétude est liée à la spécificité du rapport à soi des êtres humains. Peut-être peut-on dire : toute mystique a pour motif de se dégager du souci de soi, ou d’atténuer ce souci. Là où la mystique consiste dans le sentiment d’unification [Einswerden] dont on parlait tout à l’heure, ce sentiment repose sur le besoin de se libérer de l’isolement de l’être-soi humain et de la manière particulière dont les êtres humains se considèrent comme importants et se font du souci à leur propre sujet, même lorsqu’ils se soucient des autres. En d’autres termes, la mystique consiste à transcender ou à relativiser sa propre égocentricité [Egozentrizität], ou son propre centrage sur l’ego *, un centrage sur l’ego que ne possèdent pas les animaux qui ne disent pas « je ». Si l’on veut comprendre les motifs de la mystique, il faut comprendre les problèmes particuliers que les individus disant « je » ont avec leur propre centrage sur l’ego.

Cela invite à reprendre les questions sur le « je » et l’être-soi apparues dans la philosophie moderne d’une façon qui prenne aussi en compte les aspects du rapport à soi qui ont été considérés comme des obstacles à la paix de l’âme. Bien que je pense en première ligne aux êtres humains de notre époque, j’essaie de comprendre quelques aspects par lesquels les êtres humains se distinguent des autres animaux en disant « je » et en utilisant un langage propositionnel, quelques aspects qui sont antérieurs aux spécificités culturelles.»

Ernst Tugendhat (extrait de l'Introduction)

vendredi 4 mars 2011

Guerre ou paix en philosophie ?

Philippe Mengue

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30 mars 2011 – Germina – 12 €

Présentation de l’éditeur : La philosophie peut-elle faire la guerre, comme Bernard-Henri Lévy dans un récent ouvrage (De la guerre en philosophie, 2010) le revendique pour sa propre philosophie ? Les notions de guerre et de paix sont-elles ici à prendre au pied de la lettre ? Ou ne sont-elles qu’une métaphore se référant aux luttes, aux réfutations, aux disputes où peuvent s’engager les philosophes ?

S’il n’est guère possible de définir la philosophie comme une guerre réelle, il ne paraît pas plus pertinent de la définir comme une guerre de papier. Plutôt que de tracer des lignes de combat et d’affronter des ennemis, les philosophes semblent plus soucieux de tracer des lignes souples, des « lignes de fuite » à la manière de Gilles Deleuze. Ces lignes évacuent les oppositions et les combats pour préférer les connexions entre différences et hétérogénéités.

Ce sont en fait d’étranges liens d’amitié que tissent les philosophes. Et c’est bien de cela dont nous parle, depuis Platon, ce philein (aimer) qui est au cœur du mot même de « philosophie ». À l’arrière-plan de cette affaire d’amitié se dessine le moment socratique du non-savoir : débatteurs ou combattants, confrontés au vide du savoir, y abandonnent irrésistiblement la guerre des idées. C’est sans doute là toute la portée, modeste mais indiscutablement philosophique, d’une pratique comme celle du café-philo.

Philippe Mengue est agrégé et docteur d’État en philosophie. Spécialiste des œuvres de Sade et de Gilles Deleuze, il a enseigné à l’Université d’Aix-en-Provence. Il anime des séminaires au Collège international de philosophie, ainsi que le café-philo d’Apt.