Pouvons-nous être réalistes et dire le vrai lorsque nous étudions nos manières de faire sens, de nous comporter, de nous entendre ? Les sciences humaines et sociales tendent à éviter ces questions en considérant comme acquis ce qu'elles devraient montrer, le mode d'existence particulier de l'humain, et y fondent la vérité de leurs énoncés. Cette métaphysique par défaut crée une circularité que nous sommes tentés de dépasser en considérant ces énoncés comme des interprétations relatives à nos discours, à nos cultures. Mais s'agit-il alors encore de science ? Un autre point de vue soutient que la compréhension de l'humain est d'abord une activité ordinaire, et que ces questions doivent donc être posées dans les usages du langage. Mais à réduire l'humain à un ensemble d'usages, ne finit-on pas par considérer tout savoir à ce propos comme relatif à des situations ? Montrant que ces sciences peuvent hériter d'une certaine manière de philosopher dans le langage (Cavell, Austin, Diamond), l'auteur s'efforce de dissoudre l'impasse relativiste dans un renversement de perspective permettant une pratique réaliste de ces sciences et un usage de vrai. L'ouvrage analyse de nombreux exemples puisés en anthropologie, psychanalyse, linguistique, sociologie, histoire, et se conclut par une analyse détaillée de l'effort réaliste de Michel Foucault.
mardi 30 août 2016
Gérard Renaudo : Des sciences pour nous comprendre. Vérité et réalisme en sciences humaines
Presses universitaires du Midi - Août 2016 - Philosophica
Laurent Bibard : Kojève, l'homme qui voulait tout savoir
Lemieux Editeur - Août 2016 - Monde d'idées
Kojève le célèbre inconnu. Il est toujours utile, pour comprendre un philosophe, de connaître certains traits de sa vie. C'est bien le cas pour Kojève bien que cela soit difficile. On le soupçonna d'être un espion soviétique à Paris. Il brouilla les cartes toute sa vie en donnant souvent de lui une image factice. Exceptionnellement discret, il anticipa pourtant la fameuse société du spectacle de Guy Debord. Kojève l'encyclopédiste. C'est un philosophe au sens où il chercha sans cesse. Sa vie entière est une recherche. Kojève veut tout savoir pour tout comprendre et pour dire le tout. Or il y a longtemps que nous avons abandonné l'idée d'un savoir encyclopédique qui couvrirait la totalité du savoir humain possible, et permettrait à un individu de comprendre totalement ce qu'il en est du monde. Une pensée à contre-courant. Philosophe controversé qui réactualisa Hegel et fut critiqué par Jacques Derrida, il veut trouver et dire la vérité. A une époque où le "politiquement correct" produit un scepticisme de principe, ce genre d'attitude peut paraître singulièrement dogmatique, immodeste voire folle. La vie est une comédie, car l'on n'y est jamais sûr de rien. Mais c'est la seule que nous ayons à jouer, si l'on en croit Kojève. Et la seule chance qu'elle "vaille le coup", c'est qu'en prenant le risque de la jouer, on le fasse sérieusement.
Laurent Bibard (1962) dirige depuis 2014, la chaire Edgar Morin de la complexité à l'ESSEC. Il est l'auteur de nombreux essais dont L'Athéisme (Gallimard, 1998).
Élie Halévy : Correspondance et écrits de guerre (1914-1919)
Les Belles Lettres; Édition - Août 2016 - Œuvres complètes de Élie Halévy
Si la compréhension de la Grande Guerre a permis d'appréhender l'ampleur de la crise mondiale et l'entrée de l'Europe dans « l’ère des tyrannies », elle le doit fondamentalement à Élie Halévy.
Fils du célèbre librettiste d’opéras Ludovic Halévy et de Louise Bréguet, frère de l’essayiste et écrivain Daniel Halévy, le jeune Élie Halévy lance avec plusieurs de ses amis philosophes la très renommée Revue de métaphysique et de morale. Rapidement, sous l’effet notamment de l’affaire Dreyfus où il joue un rôle important, le philosophe se fait historien et s’attèle aux immenses dossiers du libéralisme anglais et du socialisme européen qu’il travaillera jusqu’à sa mort soudaine en 1937.
La Grande Guerre va retenir toute son attention d’historien-philosophe, alors qu’il est engagé volontaire dans des hôpitaux militaires, principalement à Albertville. Accomplissant son devoir patriotique, Élie Halévy s’estime libre d’analyser le conflit et ses conséquences avec une forte acuité, une rare lucidité et une remarquable puissance d’analyse. Ce volume très largement inédit de sa correspondance et de ses écrits de guerre, édité par Vincent Duclert et Marie Scot, préfacé par Stéphane Audoin-Rouzeau, révèle le pouvoir d’une pensée à l’œuvre pour la liberté et la connaissance.
Cet ouvrage forme le premier tome des Œuvres d'Élie Halévy publiées sous l'égide de la Fondation nationale des sciences politiques et des Belles Lettres.
Philosophe de formation, auteur d'une thèse sur Platon et d’une somme sur La formation du radicalisme philosophique et animateur dès 1893 de la nouvelle Revue de métaphysique et de morale, Élie Halévy (1870-1937) peut également être rangé parmi les grands historiens du XXe siècle français.
Maurizio Ferraris : Mobilisation totale
PUF - Août 2016
Toutes les cinq secondes en moyenne, votre portable se manifeste à vous. Cet ouvrage se penche sur ce phénomène de société et montre comment cette sollicitation permanente se transforme en dispositif de mobilisation.
Qui dit mobilisation dit militarisation. Ainsi le mobile nous transforme en militaires, abolissant la distinction entre public et privée, entre jour et nuit, entre travail et repos, en nous mobilisant en permanence : nous voilà sommés d'être sans cesse responsables, de ne rien oublier ni pardonner. Le portable aurait-il contribué à l'émergence d'un nouvel état de guerre ?
Philosophe, professeur à Turin, Maurizio Ferraris a travaillé avec Jacques Derrida. Il a publié en 2014 Manifeste du nouveau réalisme (éditions Hermann) et Goodbye, Kant ! (éditions de l'Éclat, 2009).
Alain Badiou : La vraie vie
Fayard - Août 2016 - Ouvertures
« La toute première réception officielle de la philosophie, avec Socrate, prend la forme d’une très grave accusation : le philosophe corrompt la jeunesse. Alors, si j’adopte ce point de vue, je dirai assez simplement : je viens corrompre la jeunesse en parlant de ce que la vie peut offrir, des raisons pour lesquelles il faut absolument changer le monde et qui, pour cela même, imposent de prendre des risques.
Aujourd’hui, parce qu’elle en a la liberté, la possibilité, la jeunesse n’est plus ligotée par la tradition. Mais que faire de cette liberté, de cette nouvelle errance ? Filles et garçons doivent découvrir leur propre capacité quant à une vraie vie, une pensée intense qui affirme le monde nouveau qu’ils entendent créer.
Que vivent nos filles et nos fils ! » A. B.
Willy Gianinazzi : André Gorz, une vie
La Découverte - Août 2016
Cette première biographie d'André Gorz (1923-2007) retrace le parcours de l'un des penseurs les plus clairvoyants et innovants de la critique du capitalisme contemporain. Marqué par les pensées de Marx, Husserl, Sartre et Illich, Gorz pose la question fondamentale du sens de la vie et du travail.
Né Gerhart Hirsch à Vienne, ce " métis inauthentique " étudie en Suisse, avant d'opter pour la France. Penseur existentialiste, autodidacte, il révise constamment ses façons de voir, sans craindre d'explorer de nouveaux territoires théoriques. Anticapitaliste, marxiste d'un type nouveau, il est très proche de l'extrême gauche italienne et incarne l'esprit de 68. Il est aussi l'un des premiers artisans de l'écologie politique et de la décroissance.
Une pensée en mouvement, au service de l'autonomie, du temps libéré, de l'activité créatrice et du bien-vivre. L'intellectuel André Gorz, rédacteur aux Temps modernes, se double du journaliste qui signe ses articles Michel Bosquet dans L'Express avant de participer à la fondation du Nouvel Observateur. Cette biographie d'une figure singulière, à la croisée de la littérature, de la philosophie et du journalisme, est aussi l'occasion de revisiter un demi-siècle de vie intellectuelle et politique, un voyage au cours duquel on croise Sartre et Beauvoir, mais aussi Marcuse, Castro, Cohn-Bendit, Illich, Guattari, Negri et bien d'autres.
Au-delà de ses poignants récits autobiographiques – Le Traître (1958) et Lettre à D. (2006) –, qui témoignent de sa profonde humanité, André Gorz offre une boussole précieuse à tous ceux qui croient qu'un autre monde reste possible.
mercredi 10 août 2016
Patrick Tort : Qu'est-ce que le matérialisme ? Introduction à l'Analyse des complexes discursifs
Belin - Août 2016
Le matérialisme que ce livre interroge et construit n'est pas une « philosophie », mais la condition de possibilité et l'outil de la connaissance objective.
Historiquement, il se confond, de fait, avec l'élaboration de la science moderne s'affranchissant graduellement des contrats de parole qui l'asservirent longtemps à la métaphysique et à la théologie.
Comment cette émancipation s'est-elle effectuée en des temps où une croyance instituée dictait sa loi théologico-politique aux efforts de la connaissance en leur imposant a priori la limite de l'Inconnaissable ?
Comment d'autre part, face à cet affranchissement toujours inachevé, une métaphysique résiduelle impose-t-elle encore aux artisans de la connaissance objective, sans qu'ils s'en doutent, des cadres, des frontières, des démarches et des représentations ?
Ce livre montre qu'une analyse savante des complexes de discours dans l'histoire, à travers ce qu'elle explique du passé, peut permettre de comprendre et d'améliorer ce qui constitue proprement aujourd'hui l'acte de connaître. De redéfinir la « conscience ». De sortir des leitmotivs exténués sur le « hasard ». De penser plus authentiquement la singularité émergente du vivant. De s'éloigner d'un modèle strictement nécessitariste du « déterminisme ». De sortir des impasses avérées du réductionnisme. De résoudre les contradictions tacitement acceptées entre matérialisme et morale, ou entre déterminisme et conduites autonomes. D'entrevoir l'origine du symbolisme. De comprendre la nature originellement et fondamentalement politique de la religion. De penser l'articulation évolutive entre « nature » et « civilisation », et un lien cohérent et critique entre sciences de la nature et sciences de la société. D'identifier les comportements discursifs récurrents de ce que l'on nomme l'« idéologie ». Et d'édifier sur de nouvelles bases une histoire naturelle et sociale de la liberté.
Revenant sur une part essentielle de son oeuvre, Patrick Tort invite ici à une véritable réforme logique de l'initiative de connaissance, et, simultanément, à instruire la méthode capable d'éclairer les mécanismes qui la favorisent et la combattent dans l'univers infini des discours.
mardi 2 août 2016
Daniel Thomières (dir.) : Des mots à la pensée. Onze variations sur l'interprétation
ÉPURE - Éditions et Presses universitaires de Reims - Juillet 2016
Le présent ouvrage, publié par le CIRLEP (Centre Interdisciplinaire de Recherche sur les Langues Et la Pensée) de l'Université de Reims Champagne-Ardenne, s’inscrit dans une longue lignée de recherches sur l’interprétation des textes dans ses dimensions aussi bien théoriques que pratiques. Les contributions témoignent, pourrait-on dire, d’une expérience visant à montrer au néophyte de bonne volonté que dégager les richesses d’un texte dans ses tenants et ses aboutissants est une entreprise de l’ordre du possible. Divers chercheurs ont ainsi accepté de montrer comment ils travaillent que ce soit à partir de textes philosophiques, culturels/historiques ou littéraires plus ou moins longs. Dans tous les cas, l’accent a été placé sur les rapports entre, d’une part, les mots / la langue / les langues et, d’autre part, la pensée / l’interprétation / les possibilités de sens, et cela conformément à la vocation première du CIRLEP: jusqu’où pouvons-nous développer les potentialités de ce « ET » qui relie langue « et » pensée dans notre sigle?
Raphaël Künstler et Alban Bouvier (dirs.) : Croire ou accepter ? Analyses conceptuelles et études de cas
Hermann- Juillet 2016
Peut-on convaincre un terroriste de renoncer à l’attentat qu’il projette ? Pourquoi des innocents risquent-ils d’être condamnés et incarcérés ? Les adhérents du Front national croient-ils vraiment à chaque proposition de l’idéologie du parti ? Les scientifiques peuvent-ils soutenir une théorie qu’ils croient fausse ? Ou encore, comment des riverains mobilisés contre un projet local d’aménagement du territoire en viennent-ils à adopter une position environnementaliste globale ? Autant de questions auxquelles ce volume apporte des éléments de réponses. À partir des travaux fondateurs de L. Jonathan Cohen et de la distinction opérée entre croyance et acceptation, les auteurs proposent ici aussi bien des analyses conceptuelles que des études de cas empruntés à des domaines variés (judiciaire, politique, religieux, scientifique), qui permettent une meilleure compréhension des phénomènes sociaux, et notamment des phénomènes de croyances collectives.