lundi 8 juillet 2019

Ronell Avital : La plainte

Max Milo - Avril 2019


" Qui connaît mieux la plainte que moi ? " demande Avital Ronell. Son expérience et sa connaissance des doléances l'ont conduite à tenir un registre des plaintes, les plus banales comme les plus métaphysiques. Doléances, lamentations, griefs... les plaintes expriment une souffrance qui ne peut être arrêtée, qui se répète sans espoir de réparation, liée à la pulsion de mort. Que cache la plainte ? Que dissimule-t-elle ? Elle contamine nos discours et nous paralyse, au lieu d'éliminer ce qui nous cause de la peine. À la différence de l'indignation, forte et rebelle, la plainte révèle plutôt une protestation impuissante. Avital Ronell cible les geignards et les râleurs sempiternels, mais elle s'étonne aussi de ceux qui affirment, par élégance, " je n'ai pas à me plaindre ". Car il y a bien lieu de se plaindre de la vie. La philosophe ouvre de nombreux dossiers de plaignants : la plainte des femmes et des mères, ou celle des êtres perdus qui ne trouvent pas de dieu à qui se plaindre. Elle dialogue avec Hamlet, Werther, Arendt, Derrida, de l'Allemagne à l'Amérique de Trump, et construit un théâtre philosophique où les personnages – elle-même dans le premier rôle – entendent plusieurs plaintes dans chaque complainte. 
Comme un effet pervers de ce Bureau des plaintes, Avital Ronell fait aujourd'hui l'objet d'une plainte qui a déclenché des rumeurs, spéculations et dénonciations, depuis la publication d'un article à charge (et sans droit de réponse) du New York Times. Pour la première fois, dans un avant-propos inédit, elle réagit à cette affaire. " Il est difficile de nier que cet épisode de la plainte déposée contre moi apparaît comme un reste spectral, car cette situation invraisemblable, dans laquelle j'ai été l'objet d'une plainte "officielle", a acquis une notoriété publique et a empiété sur l'achèvement de ce livre. C'est comme si cette étude avait d'elle-même enclenché un programme de doléances incontrôlé et un emballement médiatique. Quelque chose dans les thématiques râleuses de ce travail avait anticipé la persécution quasi judiciaire et les représailles paniquées de l'autorité institutionnelle, l'assujettissement à un terrifiant processus de destruction forcée. Il ne serait pas exagéré d'affirmer que j'ai été traquée par les obsessions mêmes que j'avais rassemblées dans ce livre. " A. R.

Avital Ronell est une philosophe mondialement reconnue. Elle est professeure à European Graduate School et à New York University. Elle a importé la déconstruction aux USA. Ses livres sont largement traduits en français : Stupidity (Stock, 2002), Telephone Book (Bayard, 2006), American philo (Stock, 2006), Test drive (Stock, 2009), Addict : Fixions et narcotextes (Bayard, 2009), Losers : les figures perdues de l'autorité (Bayard, 2015). 

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