Gallimard - Octobre 2024
Le désenchantement du monde n’avait pas livré tous ses secrets. Il comportait une suite que l’on n’attendait pas.
On le croyait achevé. Il n’en était rien. Il est allé silencieusement à son terme au cours des quatre ou cinq dernières décennies. La sortie de la structuration religieuse des sociétés a libéré cette fois toutes ses potentialités en engendrant un « nouveau monde » déconcertant. L’étrange crise de la démocratie qui affecte le monde occidental en est un des aspects les plus troublants. Elle est l’opposé exact de la crise totalitaire qui a ravagé le premier XXᵉ siècle. Celle-ci avait pour moteur l’aspiration à détruire la démocratie dite « bourgeoise » pour lui substituer des régimes supérieurs. La crise actuelle, à l’inverse, touche une démocratie dont les principes sont plébiscités, mais dont le fonctionnement n’en suscite pas moins une immense frustration et des fractures profondes au sein des peuples.
Cette « crise de la réussite », comme il y eut un « vertige du succès » stalinien, est liée, montre Marcel Gauchet, à une lecture trompeuse de la nouvelle structuration collective née de l’effacement complet de l’empreinte sacrale. Elle induit une vision réductrice de la nature de la démocratie, aveugle au nœud qui tient ses éléments ensemble. Il faut la dire « néolibérale », dans un sens qui va bien au-delà de l’économie, même si elle consacre le règne de l’économie, puisqu’elle concerne tous les domaines de l’existence collective et en propose même un modèle global.
Mais à l’exemple de l’expérience totalitaire en son temps, cette expérience qui en prend le contrepied a la vertu de mettre en lumière des conditions jusqu’alors mal identifiables de la bonne marche de nos régimes. C’est en fonction de ses enseignements que devra se repenser la démocratie de l’avenir.
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