vendredi 30 janvier 2015

Philosophie N°124, Janvier 2015 : Les phénomènes

Editions de Minuit - Janvier 2015


La question de la phénoménalité est tout autant constitutive de la philosophie contemporaine que de l'empirisme classique. En posant pour exigence fondatrice que la philosophie se limite aux phénomènes donnés dans l'expérience immédiate, Berkeley et Hume ont ouvert la problématique suivante : si le discours philosophique veille à ne jamais outrepasser la sphère des données phénoménales, quel espace reste alors ouvert pour l'acte de théorisation ? Cette question traverse le mouvement phénoménaliste (Mach, Avenarius, James) et la phénoménologie (Brentano, Stumpf, Husserl), avant de susciter de nouvelles formes d'empirisme (théorie des sense data, empirisme logique). 
Et, en contestant les formes canoniques de l'empirisme, la seconde moitié du vingtième siècle a paradoxalement conféré à la question de la phénoménalité un regain d'intérêt ; à travers la focalisation sur la notion de conscience phénoménale, puis les récentes "théories représentationnelles de la conscience" et leurs concurrentes, la philosophie contemporaine de l'esprit est le lieu d'énergiques débats dont l'enjeu réside dans cette question unique : que veut dire apparaître à la conscience ? Les trois premiers textes portent sur les phénomènes sensibles. 
Le numéro s'ouvre sur une dictée de Brentano consacrée au nombre et à la classification des sens ; il y pose les bases d'une classification purement phénoménologique des champs sensoriels. Dans le deuxième texte, Carl Stumpf oppose à la phénoménologie pure de Husserl - à laquelle il reproche de ne pas accorder assez d'importance aux données sensorielles, et d'être une "phénoménologie sans phénomènes" - sa propre phénoménologie, limitée à la sphère sensorielle. 
Dans son étude sur Natorp, Virginie Palette présente et discute la paradoxale appropriation de l'empirisme radical de Mach à laquelle se livre l'école néokantienne de Marbourg, notoirement anti-empiriste : bien que leurs positions se situent aux antipodes, Mach et Natorp défendent un même "monisme de l'expérience" - ce qui éclaire d'un jour nouveau les enjeux philosophiques de la psychologie de Natorp comme ceux du positivisme de Mach. 
Les contributions suivantes s'inscrivent dans le cadre du débat contemporain sur la conscience phénoménale, et discutent la pertinence et les difficultés d'une approche phénoménologique du monde (Kriegel), de l'intentionnalité (Dan Zahavi) et du mental. Uriah Kriegel oppose deux approches générales des objets, de leurs propriétés et de leurs relations causales - l'une humienne, l'autre kantienne -, et propose, sous le titre d'empirisme introspectif, une troisième voie censée combiner leurs avantages. 
Le texte de Dan Zahavi plonge au coeur d'un débat marquant de la philosophie de l'esprit contemporaine : contre l'idée d'un irréductible "fossé explicatif" séparant l'intentionnalité et la conscience phénoménale, il émet l'hypothèse d'une connexion essentielle entre les deux, plaidant pour un éclairage mutuel de la philosophie contemporaine de l'esprit et des traditions phénoménologiques. Enfin, Arnaud Dewalque et Denis Seron défendent l'idée d'une dualité "noético-noématique" constitutive du donné phénoménal, contre l'"argument de la transparence de l'expérience" censé établir qu'il n'existe ni phénomènes mentaux, ni dualité noético-noématique.

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