lundi 15 février 2016

Eric Marion : Lumières arabes et lumières modernes

Editions Kimé - Février 2016


Le présent essai se propose de montrer, en prenant pour fil directeur l'expérience de soi dans l'allégorie philosophique d'Ibn Tufayl, Hayy lbn Yaqzân, que la philosophie arabe, du IXe siècle au XIIe siècle, forme une tradition de pensée vivante et unifiée, trop souvent négligée, s'inscrivant pleinement dans le destin de la métaphysique occidentale et permettant de ressaisir une époque distincte de l'être, qui n'a pas été jusque-là considérée comme telle. D'autre part et inséparablement, il s'agira d'établir que cette tradition philosophique des Lumières médiévales arabes est à la source des Lumières modernes, tout en se distinguant radicalement de celles-ci, et que cet héritage est resté jusqu'alors insuffisamment pensé. La diffusion effective de cette oeuvre charnière au XVIIe en Europe, et l'expérience décisive qu'elle propose, le confirme : Yaqzàn est bien ce philosophe autodidacte qui pense soi-même, sinon par soi-même. Nous espérons ainsi contribuer à ce que Christian Jambet appelle de ses voeux : " l'étude des philosophes 'arabes' serait à faire dans le cadre de l'histoire de la raison, qui est l'histoire de la raison occidentale ". Enfin, mettre en évidence ce rapport entre la falsafa d'un côté, elle-même étant étroitement liée à la révélation coranique, et d'un autre côté ce qui est proprement moderne, pourrait aider à dissoudre bien des préjugés concernant l'lslam. Comme le soutient P. Mégarbané dans ses ouvrages sur deux immenses poètes arabo-musulmans, Al Mutanabbî et Al Ma'arrî : " depuis deux siècles, on discute de savoir si l'islam est compatible avec la modernité. Le verdict de l'époque voudrait que le monde arabo-musulman n'ait de choix qu'entre une modernité étrangère à sa tradition et une fidélité ombrageuse à son archaïsme. La réalité pourrait s'avérer bien différente ". L'étude de la philosophie arabe, non moins que celle de la poésie arabe, nous semble être en mesure de confirmer ce jugement salvateur. Ces motifs et ces raisons nous conduisent à cet essai : esquisser, tenter de proposer une définition des Lumières arabes, définition dont l'élaboration suppose conjointement une élucidation de l'économie de la présence à laquelle elles appartiennent.

Agrégé de philosophie, Eric Marion enseigne la philosophie arabe à l'Université de Dijon.

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