mardi 3 octobre 2017

Tony Ferri : Homo Catenarius. La surveillance électronique pénale

L'harmattan - Octobre 2017


A l’intérieur de nos démocraties occidentales, l’hypersurveillance tend à s’imposer, au moyen d’une intériorisation des peurs et d’une familiarisation des esprits, des conduites et des expériences quotidiennes avec les techniques policières devenues sociales, comme la mise en place des fouilles à l’entrée des magasins, l’élargissement des écoutes téléphoniques, la multiplication des perquisitions administratives en l’absence de mandat judiciaire, ou la possibilité d’accès, par le contrôle social, à toutes sortes de données préalablement enregistrées dans les fichiers (de l’Assurance maladie, de Pôle Emploi, des fadettes téléphoniques, etc.), à l’insu des intéressés eux-mêmes, et à l’encontre de n’importe qui. De sorte que, dans un contexte sécuritaire largement étayé par une logique du soupçon et d’indistinction à l’encontre de l’ensemble des citoyens, il s’ensuit que l’honnête homme ou le quelconque n’est pas plus désormais à l’abri que le délinquant de faire l’objet d’un fichage, ainsi que d’une scrutation de ses habitudes, de ses fréquentations et de sa vie personnelle. 
De là vient l’apparition, dans notre présent social, d’un double processus, à savoir la généralisation du sentiment de l’enfermement et l’excroissance de la réalité du contrôle au-delà des enceintes pénitentiaires. Bien que la prison soit perçue comme une modalité punitive quasi naturelle par la plupart des gens, alors même qu’elle est historiquement advenue, et bien qu’elle fasse figure de peine de référence par le pouvoir politico-judiciaire, il n’en demeure pas moins qu’elle se double et se renforce par la multiplication de ses succursales dans la société ouverte. Nous pouvons définir la société de l’hypersurveillance comme le processus par lequel notre époque et nos mœurs intègrent à la banalité de l’existence un conditionnement au besoin de sécurité et un mouvement de soumission à l’accueil, à la formation et à l’accroissement, en soi et autour de soi, d’une surveillance quotidienne massive. Au point que l’internement de sécurité qui avait cours jadis au moyen de la prison s’effectue aujourd’hui socialement, par le recours à l’utilisation du bracelet électronique comme menottes sociales et par le processus de mentalisation de l’hypersurveillance. 
Ainsi, en ce point-limite où deviennent indistincts ou poreux l’espace public / social et l’espace privé, la dimension de la liberté et la dimension du contrôle, la sphère de la citoyenneté et la sphère de la délinquance, n’est-il pas inutile d’arrêter la réflexion sur l’avènement d’une nouvelle architecture désormais carcérale au sein du milieu libre. Et, en effet, à la faveur de cette nouvelle architecture sociale, il ressort que l’espace punitif reconfigure les territoires, se greffe sur les lieux d’habitation, imprègne le sentiment de soi et d’existence, et crée une ambiance d’enfermement aussi bien dans la subjectivité des individus et les relations interpersonnelles qu’ils nouent qu’au sein des milieux libres où ils ont coutume d’évoluer. Nous aurons alors à définir, à la lueur du carcéralisme social ambiant, la manière dont la structure et l’état de l’enfermement coïncident et se renforcent mutuellement entraînant, au plan empirique, l’émergence de l’homme de la captivité, et donnant lieu, au plan de l’analyse, à la naissance d’une nécessaire anthropologie carcérale, à la lumière de laquelle apparaît désormais le danger que le punitif ait partout préséance sur l’éducatif.

Tony Ferri est philosophe, chercheur au Gerphau et conseiller pénitentiaire d'insertion et de probation. Spécialiste des pénalités contemporaines et notamment du placement sous surveillance électronique, il a écrit de nombreux articles et ouvrages, dont "Pouvoir et politique pénale, de la prison à la surveillance électronique" (Ed. Libre et Solidaire, 2016).

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