jeudi 10 juin 2021

Georges Bataille : Lascaux ou la naissance de l'art

L'atelier contemporain - Juin 2021


Ouvrage historique à plus d’un titre que celui que Georges Bataille consacra à Lascaux. Dans ce livre paru en 1955, quinze ans après la découverte de la grotte, l’écrivain se propose de formuler une première synthèse philosophique qui vienne en quelque sorte unifier les relevés de la science. Procédant avec une nécessaire prudence, dans le tâtonnement d’observations progressives et d’hypothèses fragiles, complétées et rectifiées au fil des avancées de la recherche, ces spécialistes que sont les préhistoriens ne peuvent se permettre de prendre toute la mesure de leurs propres découvertes, explique Bataille ; c’est aussi ce qui les empêche de « célébrer » Lascaux comme l’un des sites, sinon le site même de la « naissance de l’art ». Cette tâche revient à la philosophie. En s’appuyant au garde-fou de la rigueur scientifique, décrire cette « aurore » de l’humanité, ce « miracle de Lascaux » qui supplante ce qu’on nommait jusqu’alors « miracle grec » : tel est en somme le but inédit que s’assigne Bataille.

Aujourd’hui, six décennies plus tard, les conclusions momentanées auxquelles l’écrivain adossait son travail sont dépassées, la grotte de Lascaux elle-même, si elle le fut jamais sérieusement, a cessé d’être reconnue comme le lieu de l’enfance de l’art, et l’étude de Bataille, quelle que soit sa valeur historique, risque fort de passer pour un texte daté. Ce qui la sauve pourtant de la péremption est cela même par quoi elle sublimait déjà les hypothèses scientifiques de son temps : son caractère spéculatif, sa hardiesse philosophique, le brio et la verve de sa célébration de l’art. Lascaux, en ce sens, est bien une œuvre de Bataille, sans laquelle ses autres œuvres ne peuvent être entièrement comprises. Lorsqu’il assimile les figures de la grotte aux premières manifestations d’un « rire » proprement humain, à une « fête », à une « transgression »ponctuelle des « interdits » primordiaux et solidaires de la mort et de la sexualité, nul doute que ces développements n’excèdent, n’aient excédé d’emblée le cas spécifique de Lascaux.

Sa pérennité, cet ouvrage le doit aussi et enfin à la somptuosité de l’édition originale de Skira, dont on ne sait trop si c’est elle qui le magnifie ou lui qui se met à son service. En reprenant le texte de Bataille et les photographies originales – qui surent, dès 1955, rendre justice à la beauté de Lascaux dans ses nuances et sa totalité –, L’Atelier contemporain réédite également un geste éditorial d’une élégance rare.

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