vendredi 4 février 2022

Mame-Fatou Niang et Julien Suaudeau : Universalisme

 Anamosa - Février 2022


Repenser l'universalisme classique, ce n'est pas réveiller le démon du particularisme, de la pureté biologique et des passions fascistes. Ce n'est pas non plus tomber dans le piège de l'identité comme fondement de toute légitimité, ni couper la République en deux. C'est, tout au contraire, chercher le chemin d'un humanisme à la mesure du monde.

Partout, des plateaux de chaînes info aux tribunes des grands hebdomadaires, des interviews présidentielles aux phénomènes de librairies, on dresse le même constat : l'universalisme, indissociable de l'esprit français, pilier de la République, ferait face à un péril mortel.
Dans le récit qui structure le discours politico-médiatique en France, l'antiracisme présentable d'antan, validé par les partis de gauche pour son ambition universaliste – lutter en même temps contre toutes les haines collectives en intégrant tout le monde – se verrait supplanter par un antiracisme " décolonial ", " indigéniste " et " catégoriel ", dont la grille de lecture serait " racialisante ".
Si ce nouvel antiracisme est perçu comme une menace pour l'universalisme, c'est parce que ses promoteurs joueraient avec le feu communautariste. L'antiracisme 2.0 serait ainsi un racisme déguisé, utilisant des concepts essentialisants qui ne valent guère mieux que les théories de la suprématie blanche. Idiots utiles du soft power américain ou apprentis-sorciers de la gauche radicale, ses idéologues formeraient avec l'extrême droite une " tenaille identitaire " visant à renverser l'ordre républicain, en déclenchant rien moins qu'une guerre des races.
Mais de quel universalisme parle-t-on ? Dans quelle mesure le concept fait-il l'objet d'un monopole intellectuel ? Pourquoi ceux qui se pensent et se disent universalistes sont-ils convaincus qu'il n'en existe qu'une seule forme – celle qu'ils professent ? Et comment expliquer l'équivalence morale entre racisme et antiracisme qui sous-tend leur axiomatique ?
Telles sont les questions qui sous-tendent cet essai qui se veut à la fois une critique de la raison pseudo-universaliste et une approche de l'universalisme postcolonial, ou créolisé. Repenser l'universalisme classique, ce n'est pas réveiller le démon du particularisme, de la pureté biologique et des passions fascistes. Ce n'est pas non plus tomber dans le piège de l'identité comme fondement de toute légitimité, ni couper la République en deux. C'est, tout au contraire, chercher le chemin d'un humanisme à la mesure du monde.

Mame-Fatou Niang est maîtresse de conférences à Carnegie Mellon University (Pennsylvanie, USA). Elle travaille sur la question noire, l'antiracisme et l'universalisme en France. Elle s'intéresse également aux questions urbaines dans la littérature française contemporaine. En 2015, elle coréalise Mariannes noires, un documentaire sur les parcours de sept Afro-Françaises, ainsi qu'une série-photo sur des musulmans parisiens ( Black, French and Muslim). Contributrice pour Slate, Rosa Luxemburg et Jacobin Mag, Mame-Fatou Niang a récemment publié Identités françaises, un ouvrage qui interroge les processus de marginalisation et de cooptation dans la communauté nationale à travers une étude de discours sur les banlieues (Brill, 2019). Elle achève actuellement la rédaction d'un ouvrage intitulé Mosaica Nigra: Blackness in 21st-century France.

Julien Suaudeau est écrivain et réalisateur. Il enseigne et dirige le programme d'études cinématographiques à Bryn Mawr College, non loin de Philadelphie. Ses travaux portent sur les angles morts de l'histoire coloniale et sur les mécanismes de refoulement dont elle fait l'objet dans le discours politique, mais aussi les arts, la culture populaire et le langage quotidien. Son quatrième roman, Le Sang noir des hommes (2019), raconte comment le colonialisme français a engendré les fantômes qui nous hantent aujourd'hui. En mettant en regard les rémanences de l'ordre blanc en France et aux États-Unis, il propose une critique de l'innocence progressiste sur les questions du racisme, des violences institutionnelles et de la justice sociale. À la confluence de l'art contemporain, de l'urbanisme et de l'histoire, il réfléchit actuellement à l'invention de la ville postcoloniale comme affirmation républicaine. Son livre avec le monteur Yann Dedet (2020), Le Spectateur zéro, a reçu le prix 2020 du Syndicat français de la critique pour le meilleur ouvrage en français sur le cinéma.

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