samedi 25 juin 2022

Louisa Yousfi : Rester barbare

 La Fabrique - Mars 2022


"Je sens que j’ai tellement de choses à dire qu’il vaut mieux que je ne sois pas trop cultivé. Il faut que je garde une espèce de barbarie, il faut que je reste barbare." Kateb Yacine "Nègre vous m’appelez eh bien oui, nègre je suis. N’allez pas le répéter, mais le nègre vous emmerde." Aimé Césaire À l’heure où le terme « ensauvagement », d’abord charrié par l’extrême droite, pénètre les sciences sociales et se discute dans la sphère médiatique et politique comme un phénomène tangible, Louisa Yousfi nous propose ici un récit à la fois politique et littéraire de ce (re)devenir barbare des Noirs et des Arabes de France. Pour ce faire, elle ne déroule pas un commentaire de l’actualité ni n’égraine la longue liste des offenses racistes que nous offre la France contemporaine. Non, elle fonde une esthétique radicale; elle propose un grand récit – qui convoque aussi bien Kateb Yacine, Chester Himes que Booba et la prose des militants décoloniaux en prise avec les luttes actuelles – pour se départir des conflits de loyautés imposés par le mythe intégrationniste à la française mais aussi pour aborder tous les sujets délicats que la logorrhée sociologique ou l’essai militant ne sauraient saisir avec autant de relief : pourquoi ne fûmes-nous pas tous Charlie ? Comment s’extraire des turpi- tudes du « privilège blanc » (« une histoire de maître qui a appris de son esclave le stade supérieur de la dialectique : quand c’est l’esclave lui-même qui enseigne au maître le sens de la liberté. »)? Et « “qu’aurions-nous été si?” Si la colonisation n’avait pas organisé un rapport de force moral qui tient en échec la civilisation, le pays et la famille qui aurait dû nous voir naître et grandir? Si l’intégrationnisme n’avait pas édicté pour nous les conditions de notre salut dans ce pays conditionnel qui n’a rien d’une patrie ? » Rester barbare a quelque chose des essais littéraires offerts en son temps par James Baldwin aux luttes noires américaines. Ici, il faut saisir « la barbarie comme un lieu d’énonciation à partir duquel » Louisa Yousfi « vient secouer et saccager l’ordre des choses ».

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