Traduit par Gilles Dauvé avec la collaboration de Jean-Louis Boireau.
Postfaces de Herbert Marcuse et Théodor W. Adorno.
Ce livre à la fois classique et méconnu présente une analyse paradoxale du système national-socialiste comme système monstrueux, c’est-à-dire un non-État, un chaos, une situation de non-droit, de désordre et d’anarchie, ambitionnant d’établir son hégémonie sur de gigantesques étendues de terre. Objet de débat au sein du groupe de Francfort, on a d’abord retenu de cette interprétation du nazisme son orientation marxiste, surtout de par son opposition aux thèses de F. Pollock sur le capitalisme d’État, formation sociale originale qui succéderait au capitalisme de monopoles.
Pour Neumann, il s’agit en vérité d’une économie monopolistique totalitaire qui se définit par deux caractères : « C’est une économie monopoliste et en même temps une économie dirigée. C’est une économie capitaliste privée encadrée par l’État totalitaire. » Aussi une lecture plus à distance des controverses de l’époque peut-elle discerner dans Béhémoth : – à travers l’étude du national-socialisme, une analyse concrète de la primauté du politique sur l’économique au xxe siècle, en tentant d’articuler la problématique wébérienne des formes de domination à une interprétation marxiste des antagonismes de classe ; – une étude minutieuse des mécanismes de l’État totalitaire décrit comme un complexe de quatre groupes sociaux dominants qui, sous couvert d’unité, est menacé en permanence d’éclatement et de désintégration. Contre les représentations superficielles d’un fascisme monolithique, Neumann démontre que « l’État national-socialiste était en réalité pluraliste, en un sens funeste du terme. La volonté politique s’y formait à travers la concurrence sauvage des lobbies sociaux les plus puissants » (Adorno).
Béhémoth, le monstre qui règne sur la terre où le désert croît. À l’encontre du mouvement « révisionniste » et des tendances apologétiques qui visent, en Allemagne, à banaliser la socialisation totalitaire propre au national socialisme et à engendrer en douceur l’oubli de l’imprescriptible, Béhémoth, même s’il méconnait la destruction du peuple juif, rappelle que dans la société nouvelle, sous l’emprise d’une domination directe et d’un procès d’atomisation généralisée, c’est bien d’auto-destruction de l’humanité qu’il s’agissait.
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