2011 – Editions de Minuit – 10 €
PHILOSOPHIE(S) FRANÇAISE(S) : le pluriel est destiné à mettre en question l'unité intrinsèque de la philosophie française – simple idéal-type permettant de repérer dans l'histoire certaines convergences thématiques ou méthodologiques ? – et son autonomie – tant elle apparaît redevable aux grandes figures de la philosophie allemande (Husserl, Heidegger, le Cercle de Vienne, etc.). Les auteurs de ce numéro, « spécialistes » de philosophie française, ont réfléchi sur leur praxis exégétique et le statut de l'identité implicite du thème « philosophie française », qui est censé se situer en son foyer.
Dans « Pour une histoire souterraine de la pensée française », Frédéric Fruteau de Laclos en propose une anamnèse : remémoration des conjonctures qui, en privilégiant certaines thèses et courants, ont occulté des options originales jugées marginales. Cette anamnèse lui paraît nécessaire à la remise en chantier de philosophèmes passés, et notamment à la réactivation, par-delà le structuralisme et l’individualisme méthodologique, des thèses de la psychologie historique fondée par Ignace Meyerson – dont il suit les traces chez le jeune Foucault, François Châtelet et Olivier Revault d’Allonnes.
Dans « Descartes et les trois voies de la philosophie française », Camille Riquier s'intéresse à la reprise au XXe siècle de thèmes de la philosophie cartésienne, pour montrer que des tendances fondamentales de la philosophie française ont leur origine dans le déploiement unilatéral de l'une des voies du cartésianisme : celles du cogito, du système et des modernes. Malgré l'inspiration essentielle qu'elle reçoit de la philosophie allemande, la philosophie française ne se comprendrait donc que par son réinvestissement du texte cartésien, qui en constituerait le foyer implicite.
Dans « Portées du nom Bergson. Portrait de groupe avec philosophe », Giuseppe Bianco envisage la philosophie française contemporaine sous l’angle d’une socio-histoire des pratiques philosophiques, qui en montre le conditionnement par des changements de nature extra-philosophique. Dévoilant les contextes stratégiques où le bergsonisme a servi à faire, défaire et refaire la ligne de partage de la pensée française, il remet en question celle qui fut instaurée par Foucault, puis réajustée par Badiou, entre un mysticisme vitaliste qui remonterait à Bergson, et un mathématisme trouvant sa source chez Brunschvicg.
Dans « L’invention de l’homme moderne. Une lecture de Michel Foucault », Guillaume Le Blanc interroge la généalogie de la question de l'homme chez ce dernier, montrant que loin de se laisser reconduire à la seule figure kantienne, elle s'inscrit dans le registre éthique et politique de l'invention ; et que la référence à la vie inventive forme le canevas théorique majeur d’un foyer de la philosophie française où s'intègrent des auteurs aussi distincts que Canguilhem, Foucault, Deleuze et Derrida, mais aussi Sartre, Merleau-Ponty et de Certeau.
Enfin, dans « La vie dans la philosophie du XXe siècle en France », Frédéric Worms, loin de postuler une continuité thématique ou méthodologique centrée sur la vie, montre comment celle-ci fut pensée différemment selon les moments qu’elle a traversés, impliquant des ruptures dans la manière dont la question fut à chaque fois thématisée. À travers les problèmes qui se posaient – ceux de l’esprit, de l’existence, du langage et du pouvoir –, ce serait la vie elle-même qui, à chaque fois, dévoilerait l'une de ses dimensions. Aussi est-ce le moment présent qui, de plus en plus, serait amené à penser la vie dans sa tension irréductible et ultime. D. P.
Sommaire
Camille RIQUIER, Présentation
Frédéric FRUTEAU DE LACLOS, Pour une histoire souterraine de la pensée française
Camille RIQUIER, Descartes et les trois voies de la philosophie française
Giuseppe BIANCO, Portées du nom Bergson. Portrait de groupe avec philosophe
Guillaume LE BLANC, L'invention de l'homme moderne. Une lecture de Michel Foucault
Frédéric WORMS, La vie dans la philosophie du XXe siècle en France
Notes de lecture