Editions Etérotopia - Mai 2016
L’eau est indispensable au vivant (aux plantes comme aux animaux) et à l’humain. Chacun à en tête la photographie d’un champ aride, craquelé, sec, encombré de carcasses de bovins en décomposition... La sécheresse depuis des temps immémoriaux est considérée comme une calamité, la punition d’un Dieu mécontent ou un sinistre aussi grave que son contraire, l’inondation ! Si la quantité d’eau présente sur Terre ne varie guère d’une année à l’autre, elle est inégalement répartie, aussi certains territoires doivent effectuer un dessalement coûteux en énergie (solaire, éolienne...), tandis que d’autres pratiquent l’épuration et protègent l’aquifère. Au final, l’eau apparaît aux uns comme un enjeu et aux autres comme une ressource, dans les deux cas, elle fait l’objet de tensions géopolitiques et enrichie les multinationales qui la distribuent... C’est principalement l’agriculture productiviste qui surconsomme l’eau, les canons à eau arrosent les champs de maïs tandis que le lisier des cochons pollue les nappes phréatiques... L’industrie agro-alimentaire n’est pas en reste, chaque bien nécessite une certaine quantité d’« eau virtuelle », ainsi un kilo d’hamburger réclame en moyenne 16000 litres d’eau, un kilo de poulet 5700, un kilo de fromage 5000, de pain 1300... Pour le dire autrement, il faut de 400 à 2000 litres d’eau selon les régions pour récolter un kilo de blé ! Les entreprises de textiles, d’électronique, de métallurgie, etc., utilisent également beaucoup d’eau. Chaque année les organisations internationales dénombrent les sans eau (plus de 800 millions en 2015), la majorité résident en Afrique et sont victimes des maladies hydriques (choléra, diarrhées, légionellose). L’inégalité face à l’eau potable est flagrante. Si l’on considère que 20 litres par jour et par personne est un minimum, certains terriens ne disposent que d’un à deux litres tandis qu’un Américain « moyen » en consomme 500 litres (certains moins et d’autres plus pour laver leurs 4x4, remplir leur piscine et arroser leur pelouse dans les régions particulièrement chaudes de la Sun Belt), un Européen « moyen » environ 300 litres... L’eau appartient aux quatre éléments selon la culture occidentale, avec la terre, l’air et le feu. La culture orientale admet cinq éléments et ajoute le métal ou le bois. Les philosophes s’en sont préoccupés dès l’aurore de la pensée... Gaston Bachelard (1884-1962) a consacré plusieurs ouvrages à cette « imagination matérielle » des éléments, dont L’Eau et les rêves (José Corti, 1942) que nous relisons ici et situons dans l’ensemble de son œuvre afin de penser l’eau en ce début du XXI siècle où nombreux sont ceux qui la proclament « bien en commun ».
Thierry Paquot, philosophe de l’urbain, ardent bachelardien et soucieux de la question environnementale (il est l’auteur du Petit Manifeste pour une écologie existentielle, Bourin-éditeur, 2007) examine philosophiquement la place de l’eau dans la vie des sociétés et des individus, mêlant informations chimique, économique, géographique, écologique à l’étude symbolique que réclame l’eau stagnante comme l’eau vive, l’eau douce comme l’eau de mer, l’eau de pluie comme l’eau du ruisseau et élabore ainsi une géopoétique de l’eau, garant de cet imaginaire singulier qui assure à chaque humain sa part d’humanité. Il a publié aux éditions Eterotopia France, Le voyage contre le tourisme (2014) avec une préface de Marc Augé.