2012 - Ed. de Minuit - 10 €
Sous le titre de philosophie animale, il faut entendre une discipline philosophique d’origine anglo-saxonne dont la réflexion est centrée sur la responsabilité éthique des hommes à l’égard des animaux. Or, s’il n’existe pas vraiment de « philosophie animale française » – les travaux français sur l’animalité s’étant développés dans des perspectives très diverses sans souci d’unification –, certains philosophes français majeurs du XXe siècle ont cependant contribué au renouvellement de la réflexion sur l’animalité. L’ambition de ce numéro est d’en mettre en lumière quelques aspects centraux.
Il s’ouvre sur un entretien accordé par Levinas à des étudiants américains de l’université de Warwick. La réflexion sur l’animalité y est engagée par une question simple : si ce qu’entend Levinas par visage n’est pas la figure humaine perçue, mais est autorité et imploration, faut-il accorder le visage à l’animal ? Avons-nous des obligations à son égard ? Dans l’affirmative, qu’est-ce qui distingue le visage animal de l’humain ? Levinas y répond également aux objections derridiennes, récusant l’idée que sa philosophie soit prioritairement orientée sur le judaïsme et réaffirmant la pérennité de la philosophie grecque.
Sous le titre sibyllin « Apprivoiser la profusion sauvage des choses existantes », Clare Palmer propose une application du concept foucaldien de pouvoir aux relations entre homme et animal ; pensé comme une organisation réticulaire non susceptible d’être possédée par un individu, il suscite une microphysique du pouvoir. Dans ce cadre, Foucault oppose les relations de pouvoir à celles de domination : là où les premières sont instables et réservent une possibilité de résistance, les secondes impliquent l’élimination de toute forme de résistance. De ces deux concepts, lequel est adéquat pour penser les relations entre hommes et animaux ?
Dans « Les deux corps sacrifiés de l’animal », Patrick Llored tente de montrer que la déconstruction derridienne est une philosophie qui, à la fois, réfléchit sur l’animal et se réfléchit en lui, et que la présence massive de figures animales confère leur sens premier aux concepts centraux de différance, trace, supplément, pharmakon. Dans cette perspective, l’auteur montre comment le sacrifice (notamment carnivore) de l’animal possède une fonction cardinale dans le procès par lequel l’homme s’auto-assigne une subjectivité qui le distingue de l’animal, et comment la distinction entre l’homme comme être vivant politique et l’animal comme être vivant a-politique se situe à l’origine de l’État moderne.
Enfin, Brian Massumi, traducteur de Deleuze en anglais, propose dans « Ceci n’est pas une morsure » une réflexion sur l’animalité et l’abstraction chez Deleuze et Guattari. Il y introduit le concept de sur-normalité afin de repenser l’instinct animal et désigner la dynamique de déformation et de transformation qui caractérise certains comportements animaux étudiés par Tinbergen ; loin, en effet, que cet instinct obéisseà des lois absolument rigides, il possède une part d’imprévisibilité et une dimension ludique que l’auteur tâche de penser en mobilisant des concepts empruntés à Deleuze et Guattari, ainsi qu’à R. Ruyer.
D. P.
Sommaire
EMMANUEL LEVINAS
Le paradoxe de la moralité (entretien)
CLARE PALMER
« Apprivoiser la profusion sauvage des choses existantes » ? Une étude sur Foucault, le pouvoir et les relations
homme-animal
PATRICK LLORED
Les deux corps sacrifiés de l’animal. Réflexions sur le concept de zoopolitique dans la philosophie de Derrida
BRIAN MASSUMI
Ceci n’est pas une morsure.
Animalité et abstraction chez Deleuze et Guattari