mercredi 22 mai 2019

Philippe Beck : La berceuse et le clairon. De la foule qui écrit

Le bruit du temps - Février 2019


Sous-titré « De la foule qui écrit », La Berceuse et le clairon est un livre riche, exigeant et érudit, qui peut se lire comme un prolongement de sa poétique propre, déjà affirmée dans Contre un Boileau qu’il a publié en 2015. Mais c’est aussi un livre passionnant et important pour tous ceux (et ils sont plus nombreux qu’on ne croit) qui s’interrogent sur le devenir présent de la littérature comprise « comme un processus d’intensification du langage ». La question : quelle peut être la place du grand écrivain, du héraut dans un monde où chacun est autorisé à écrire, à imprimer ? Le titre du livre est explicité dans l’« Avertissement » : « La multitude qui écrit est-elle un immense orchestre, et joue-t-il, se joue-t-il une berceuse tyrannique, tout le monde contribuant à son propre sommeil, au sommeil collectif peuplé de rêves, ou bien s’agit-il d’une harmonie de clairons, d’un ensemble d’avertissements vif et “cacophonique”, la partition des cauchemars qui interdisent la berceuse en marquant l’absence du bonheur ? » L’ouvrage, comme l’écrit Beck lui-même, est à double entrée : il est à la fois une réflexion exigeante sur ce que signifie le désir d’expression littéraire, dans un monde où de plus en plus de personnes écrivent, rivalisent d’écriture, et une « chrestomathie », une anthologie qui convoque de nombreux auteurs, extrêmement divers, autour de ce thème. Le livre est en deux parties : la première pose le problème de la multitude littéraire en esquissant une analyse de l’élan expressif qui fonde ce que Beck appelle un « individualisme expressif ». La seconde répond à la question en étudiant des postures caractéristiques d’écrivain : Thoreau et Emerson, le Bartleby de Melville, le Journal de Manchette, etc. Aussi ce livre de réflexion sur « la littérature maintenant » peut-il se lire comme une sorte de généalogie de la littérature, ou plutôt de ce qui la fonde, « le besoin d’expression ». En philosophe qui n’hésite pas à remonter aux origines, avec la liberté de l’essayiste (Montaigne est souvent cité), Beck nous fait ainsi vagabonder de la préhistoire (à travers Leroi-Gourhan) jusqu’à Verlaine, Mandelstam (et son essai « De l’interlocuteur ») et aux avant-gardes (qu’est-ce qu’une forme neuve ?). Il faut insister sur la singularité de cette pensée. Beck pense avec les outils de la philosophie mais il pense en poète, par images, avec une agilité qui fait penser parfois au Mandelstam de l’Entretien sur Dante. Ce sont des images intuitives qui décrivent matériellement et de manière fulgurante la poésie : « Le nerf optique est une trompette marine, dont le cordeau seul unit la main et le vent. » Et qui mêlent le plus savant au plus simple : l’ours Colargol est convoqué aussi bien que Schwitters et que Jacob Boehme ou Kant.

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