lundi 21 octobre 2024

Mogens Laerke : Leibniz lecteur de Spinoza. La genèse d'une opposition complexe (réed.)

 Honoré Champion - Octobre 2024


La comparaison entre Leibniz et Spinoza figure parmi les plus riches de l’histoire de la philosophie. Depuis le début du XVIIIe siècle, elle a retenu l’attention de nombreux philosophes tels que Wolff, Mendelssohn, Schelling, Cassirer et Russell. Basé sur les avancées les plus récentes en matière d’édition, Leibniz lecteur de Spinoza propose une nouvelle interprétation globale de cette rencontre philosophique à partir d’une méthodologie à la fois comparative et génétique. L’ouvrage reconstruit la confrontation des philosophes sur des questions de théologie et de politique : l’interprétation des miracles, la nature de la vraie religion, les fondements du droit naturel, le jus circa sacra, les principes d’exégèse biblique. Il suit pas à pas l’évolution de la réception leibnizienne de la métaphysique de Spinoza, de la bienveillance réfléchie dont témoignent les fragments du De summa rerum de 1675-1676 à l’opposition décisive qui se met en place dans les commentaires critiques sur l’Éthique, rédigés en 1678. Il explore enfin une série d’interprétations comparatives de la philosophie spinozienne que Leibniz propose à partir de 1679, notamment par rapport au cartésianisme, au cabalisme et au scepticisme.

Mogens Lærke, né en 1971 au Danemark, est directeur de recherche au CNRS, affilié à la Maison Française d’Oxford et au laboratoire IHRIM (UMR 5317) à l’ENS de Lyon.

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Collectif : Cinématérialismes. Nouvelles approches matérialistes de l'audiovisuel

 Mimesis - Octobre 2024


Cet ouvrage collectif explore les points de contact existant entre le cinéma et les traditions historiques et philosophiques du matérialisme. Les articles réunis proposent de réinscrire la description de la matière visuelle et so¬nore des images dans un travail critique qui prendrait en compte la dimension socio-politique des formes de production – tech¬niques, économiques, écologiques – des œuvres. S’affirmant contre la dépolitisation tendancielle de l’usage de la notion de matérialisme, cet ouvrage est animé par la conviction que la réévaluation des pensées matérialistes historiques et le développement des approches contemporaines peuvent constituer une issue salutaire aux impasses de l’ère post-théorique. Il voudrait ainsi plaider pour une conception politique de la matérialité, et réciproquement, pour une compréhension matérielle de la politique.

Fanny Cardin, Garance Fromont, C.E. Harris, Charlie Hewison, Rémi Lauvin, Anastasia Rostan et Barnabé Sauvage sont chercheurs et chercheuses en études cinématographiques et audiovisuelles. Ils et elles sont membres de GERMAINE, groupe de recherches doctoral né en 2018, qui regroupe les jeunes chercheur.euses d’Université Paris Cité travaillant dans le domaine du cinéma et des médias audiovisuels.

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Gaston Bachelard : L'engagement rationaliste (Nouvelle édition établie et commentée par Vincent Bontems)

 PUF - Octobre 2024


Recueil d'articles dont la première édition a été publiée en 1972 dans la collection Bibliothèque française contemporaine. L'Engagement rationaliste suit l'intégralité de la trajectoire de Gaston Bachelard. Composé, titré et préfacé par Georges Canguilhem, ce recueil s'ouvre avec un manifeste épistémologique révolutionnaire (« Le surrationalisme ») rédigé en soutien au Front populaire, et s'achève avec l'éloge de Jean Cavaillès, l'ami chef de la Résistance assassiné par les nazis, manifestant ainsi le caractère engagé de l'épistémologie. Cet engagement consiste en premier lieu à suivre la science dans ses progrès : « il faut que le rationaliste soit de son temps, et j'appelle de son temps, du temps scientifique, de la science du temps que nous vivons actuellement ». Un tel rationalisme révise ses connaissances, ses méthodes et jusqu'à ses principes. Il ne lutte pas seulement contre le sens commun, mais aussi contre des normes de scientificité héritées du passé. Cette posture résolument progressiste résonne avec d'autres positions avant-gardistes. La présente édition, présentée et commentée par Vincent Bontems, précise l'origine des textes, restitue leur contexte, et identifie la source des citations et des concepts, afin d'éclairer le sens des engagements de la pensée et de l'existence de Bachelard.

Directeur de recherche au CEA, professeur à l'université Paris-Saclay, codirecteur du master MTI, Vincent Bontems est spécialiste des oeuvres de Gaston Bachelard et de Gilbert Simondon.

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Yvan Richard Iorio : Phénoménologie de la sublimation. Du processus sublimatoire à une esthétique de l’existence

 L'Harmattan - Octobre 2024


Parler de sublimation désigne à la fois une expérience de la vie psychique et une expérience existentielle. S’intéresser à la sublimation, c’est certes toujours se situer à l’intérieur de la psychanalyse, mais en un sens nettement élargi.
Il faut en effet tenir compte du cadre de la théologie puisque la sublimation religieuse occupe une place importante dans la description freudienne du processus sublimatoire. C’est aussi déployer une recherche en philosophie. Nous pouvons ainsi plaider en faveur d’une interprétation non exclusivement métapsychologique de la sublimation en lui reconnaissant un statut existentiel et herméneutique qui ouvre à une herméneutique générale du sujet.
Il devient alors possible d’oser une interprétation qui fait place à une phénoménologie existentielle de la sublimation et l’entendre comme esthétique spirituelle et éthique de portée universelle.

Yvan Richard Iorio est enseignant en philosophie. Il anime régulièrement des rencontres philosophiques populaires et citoyennes pour tous publics. Après deux masters recherche l’un en philosophie l’autre en théologie, il s’est formé au développement personnel et à la psychanalyse. Il est aussi auteur/compositeur et a fait ses premiers pas dans la musique en passant de la chorale paroissiale au métro parisien.

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dimanche 20 octobre 2024

Cahiers d'études lévinassiennes n°20 : Le nihilisme

 Verdier - Octobre 2024


« L’Empire du rien », telle est l’expression qu’utilise le Maharal de Prague dans La lumière du commandement (Ner Mitzva) pour caractériser le règne du quatrième Empire, expression qui retint l’attention de Benny Lévy dans Le meurtre du Pasteur. L’Empire du rien se donne non seulement comme la seule totalité possible, mais encore comme la totalité ultime : parachèvement du processus de l’histoire universelle, ou plutôt, de l’histoire de l’universel, qui est celle de l’extension planétaire du Grec : Rome, l’Occident, l’Allemagne – bref, la modernité, l’unification du multiple poussée à son maximum.
Comme le souligne Benny Lévy, avec l’avènement de l’Empire du rien, il n’en va pas simplement d’un règne de l’apparence qu’il s’agirait de traverser pour retrouver une vérité enfouie ; il n’en va pas simplement non plus d’un relativisme généralisé, auquel seule la restauration d’une « autorité » pourrait remédier. Ni symptôme historique d’une humanité parvenue au stade de l’épuisement et du désenchantement, ni maladie de la culture parmi d’autres, pas davantage une quelconque défaite de la pensée, le nihilisme est l’attitude morale qui se signale par son indifférence foncière à l’égard de la vérité en tant qu’elle a été anéantie, il est l’indifférence érigée au rang de vérité.
Si le quatrième empire de l’histoire de l’universel marque l’accomplissement de la vérité de l’universel, il ne saurait être rien d’autre qu’un anéantissement, une destruction intégrale, une « dé-consistance » (B. Lévy). La néantisation de la vérité est la vérité de l’universel qui s’est fait histoire, elle est son principe même.
Dès lors, sommes-nous condamnés à gémir indéfiniment sur la dépouille des idoles de l’Occident, en espérant que du mal et de la mort surgira du nouveau, des dieux ou un dernier Dieu ? Ou bien faut-il une fois pour toutes renoncer à la théodicée, mettre entres parenthèses l’histoire de l’universel et faire retour à l’origine pour faire advenir un temps messianique ?
Telles sont les questions que nous voudrions aborder dans cette vingtième livraison des Cahiers d’études lévinassiennes, qui marque aussi les vingt ans de la disparition de Benny Lévy, leur créateur, à qui nous avons tenu à rendre hommage.

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Claude Lafleur, Joanne Carrier : La « Nouvelle logique » des Communia du pseudo-Robert Grosseteste

 Vrin - Octobre 2024


« Découverts », c’est-à-dire tirés de l’ombre des archives, en 2014, les Communia (« Points communs ») attribués à tort au savant évêque de Lincoln, Robert Grosseteste († 1253), forment – en eux-mêmes (130 colonnes dans le manuscrit de Salamanque) et a fortiori avec leurs annexes (des Communia additionnels et des Transcendentia [« Points suprêmes »] s’étendant sur 77 colonnes) – le plus vaste corpus « didascalique » latin médiéval connu à ce jour, s’élevant ainsi, avec ses 207 colonnes, quantitativement à plus du double du célèbre Guide de l’étudiant (ou Compendium examinatoire Nos gravamen, 99 colonnes dans le manuscrit de Barcelone), la référence obligée pour l’étude de l’enseignement à la Faculté des arts de Paris dans la première moitié du XIIIe siècle (plus précisément vers 1230-1240), dont ces Communia partagent vraisemblablement l’origine, tout en étant un peu postérieurs.
Le présent livre offre justement l’étude, l’édition et la traduction de la première partie des Communia du pseudo-Robert Grosseteste, un livre qui, même s’il paraît en quatrième, équivaut pour ainsi dire au premier des cinq tomes par lesquels, après la parution du tome 5 actuellement en préparation, la totalité de cet immense complexe didactique sera, aisément et scientifiquement, rendue accessible dans la collection Zêtêsis, en se répartissant comme suit (les tomes 1 à 4 totalisant déjà plus de 2500 pages) : 1) « Nouvelle Logique » (2024); 2) « Vieille Logique » (2019); 3) « Philosophies morale et naturelle » (2018); 4) « Grammaire » (2021); 5) « Points communs » additionnels et « Transcendantaux » annexes (en préparation).
Il faut noter l’audacieuse pédagogie « inversée » mise en avant par cette large compilation didactique, dont la fréquentation – maintenant facilitée aussi pour la Nova Logica par l’étude-édition-traduction, le sommaire des questions, la bibliographie et l’index – va significativement enrichir notre connaissance de l’enseignement universitaire médiéval.

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Alain Boyer : Karl Marx. La transparence et les entraves. Une lecture critique

 Vrin - Octobre 2024


Karl Marx est l’un des plus grands penseurs du XIXe siècle. Son matérialisme a cependant une orientation pratique assumée. Son but est d’effectuer une critique radicale à la fois du système socio-économique capitaliste et de ses théoriciens. La révolution prolétarienne communiste est son objectif essentiel. Le présent essai offre une interprétation nouvelle de sa pensée, axée sur la notion d’entraves et celles de simplicité et de transparence, ainsi que sur la critique de toute séparation. Les révolutions, en supprimant les entraves au progrès des forces productives, libéreraient aussi la classe dominée de ses chaînes. Quels sont les arguments de Marx pour rendre évidente l’advenue du communisme, où tout sera « simple et transparent » et « sans entraves »? Les grands textes de Marx, de 1841 à 1881, sont relus à cette aune. On s’attache particulièrement au « fétichisme de la marchandise », texte difficile, mais qui lui semble nécessaire pour faire admettre qu’il faut ni plus ni moins qu’abolir la marchandise et, avec elle, l’échange et la monnaie, et par ailleurs l’État, ce qui a toutes les apparences d’une impasse.

Alain Boyer est professeur émérite de philosophie politique à Sorbonne Université.

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samedi 19 octobre 2024

Jean-Marc Mouillie : Cinq apparitions du ciel étoilé. Kant et le sens de l'existence

 Les Belles lettres - Octobre 2024


Qui ne s’est demandé, levant les yeux vers un ciel étoilé, considérant son abyssale profondeur, quel sens avait l’existence ? Kant a formulé cette interrogation sous forme de réponse : deux choses, dit-il, remplissent le coeur, « le ciel étoilé au-dessus de moi et la loi morale en moi ». Cette pensée gravée sur la tombe du philosophe, Kant la formula plusieurs fois au cours de sa vie. Il y revient comme à un horizon où brille la conviction de la destination morale de l’humanité. Mais elle reste somme toute énigmatique. Cet essai en propose une lecture interne à la pensée kantienne puis interroge sa portée.
Par son insistance et son inscription de l’insondable, elle conjure en effet une inquiétude. La béance de la nuit laisse entrevoir un abîme inadmissible pour le sens : c’est le hors-sens absolu que l’univers suggère à la pensée. Si Kant part du sentiment du sublime, le mûrissement de sa réflexion le conduit d’ailleurs à confronter le cogito des étoiles aux violences de l’histoire et à l’indifférence de la matière. Et l’épreuve intime du vieillissement lui rappelle sa dépendance envers le corps. La considération du ciel étoilé se retourne dès lors contre le regard kantien. Elle n’est plus tant le seuil d’expression d’une foi morale que celui d’une éthique de l’incertitude où le sens, coupé de toute justification transcendante, ne peut être fondé que par lui-même. Alors que l’expérience du ciel cosmique disparaît aujourd’hui sous la pollution et l’envahissement technologique, ce sont de nouvelles Lumières, celles du soin et de l’éthique du sens partagé, qui doivent percer au sein d’une histoire qui répand les ténèbres.

Jean-Marc Mouillie, agrégé et docteur en philosophie, ancien élève et assistant de l’École Normale Supérieure, est maître de conférences HDR à l’université d’Angers et membre du Centre international d’études de la philosophie française contemporaine (La République des Savoirs, UAR 3608).

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Pierre-Alban Gutkin-Guinfolleau : L'existence à l'œuvre. Philosophie de Jankélévitch

 PUF - Octobre 2024


L’unité d’une œuvre d’apparence éclatée se gagne dans la formulation d’un dénominateur commun à toutes ses parties. L’erreur qui consiste à voir dans la pensée de Vladimir Jankélévitch un émiettement de considérations morales sur les vertus réside dans une cécité qui suppose, pour recouvrer la vue, de comprendre cette œuvre comme une philosophie de l’existence. Cette philosophie n’est pas moins une métaphysique qu’une morale. En ce sens, l’existence se décline sur le plan métaphysique comme un fait et sur le plan moral comme une tâche. Le foisonnement qui devait ainsi ruiner l’unité de cette œuvre rejoint le principe qui le commande et installe l’exigence humaine du devenir soi au cœur d’une pensée singulière.

Pierre-Alban Gutkin-Guinfolleau est maître de conférences à l’Institut catholique de Paris. Il a dirigé le Cahier de L’Herne consacré à Vladimir Jankélévitch (2023) et a publié plusieurs travaux académiques sur cet auteur.

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Stéphane Larrieu : Alter Ego. Axiomatique crépusculaire de l'existence

Publishroom Factory - Octobre 2024


“ Deviens ce que tu es !”, comme disait le poète Pindare, fait écho à : qui sommes-nous ? Cette question, à la fois simple et d’une complexité abyssale, est au cœur de cet ouvrage. Un pan entier de l’histoire de la philosophie ou de la littérature se plonge, depuis l’apparition de la pensée, dans les méandres de l’être et au travers du “ je” raconte notre “alter ego”. Cet autre qui n’est que nous même.
Ce recueil de textes, présenté sous forme d’aphorismes, est une tentative de s’inscrire dans cette lignée du jeu entre le moi et l’autre, et réciproquement, sous la forme d’un kaléidoscope thématique ou d’une peinture pointilliste qui ne révélerait son sens qu’à mesure que nous prenons de la distance dans la durée. Il appartient au lecteur de construire son propre portrait, en miroir, dissimulé dans les liens interstitiels et fragmentaires qui parsèment ces segments, vers une direction et un but ou une ligne de fuite, seules conditions d’une mise en perspective.
Le développement d’une philosophie existentielle concrète est au cœur de cet ouvrage, comme une filiation d’illustres prédécesseurs.
Que signifiait pour ces hommes ou ces femmes, et quel sens donnons-nous aujourd’hui à ces empreintes de mains retrouvées dans les grottes préhistoriques, à des périodes concomitantes dans des lieux différents ? C’est bien le mystère de l’Être qui demeure et, des mêmes interrogations naissent, au fil du temps, des formes différentes. Cette dualité, tant spatiale que temporelle, entre ontogénèse et phylogénèse est au cœur de l’évolution de l’être humain et de l’espèce, dont l’Art est la plus noble des représentations, fil rouge de ce recueil.
“Je pense à ceux qui doivent en eux trouver quelque chose après le désenchantement. ” - Honoré de Balzac

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vendredi 18 octobre 2024

Bernard Aspe : La division politique

 Nous - Octobre 2024


Ce livre propose deux gestes symétriques pour clarifier le rapport entre philosophie et politique : d’une part les aborder comme deux régimes de pensée hétérogènes. D’autre part montrer que leur articulation est nécessaire, et que c’est de cette articulation seulement que peut naître une approche féconde de la situation que nous vivons aujourd’hui. Ce double geste ne relève en aucune manière de la discipline nommée « philosophie politique ». Les tenants de cette discipline veulent ignorer qu’il n’y a de politique que là où l’évidence supposée du cours des choses est contestée, et où sont combattues les décisions prises par ceux qui nous gouvernent. Dans la mesure où le pouvoir de ces derniers repose sur une confiscation du sens même de « politique », toute politique effective se caractérise avant tout par le fait qu’elle doit se battre pour se faire reconnaître en tant que telle. C’est là une des figures de la division politique, entendue comme conflictualité — entre des manières de voir, de faire, de penser irréconciliables —, qui est à la fois le point de départ et le cœur de toute politique ; conflictualité qui, dans sa partialité même, est condition de la clarté, car le « tout » se voit depuis la division.

Bernard Aspe : né en 1970, philosophe. Il a publié aux éditions Nous Les mots et les actes (2011) et Horizon inverse (2013), Partage de la nuit. Deux études sur Jacques Rancière (2015) et Les Fibres du temps (2018).

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Bruno Trentini : Le corps à l'oeuvre. Tome 2, L'épreuve spectatorielle

 Le Bord de l'eau - Octobre 2024


Le constat à l'origine de cet ouvrage est que le corps spectatoriel reste encore un impensé de l'esthétique philosophique. Cela peut notamment s'expliquer en ce que les paradigmes du chef-d'oeuvre, du désintéressement et de l'harmonieuse fluence de l'expérience esthétique ne favorisent pas une théorisation frontale du corps. Une des hypothèses à l'origine du projet global dans lequel s'inscrit cet ouvrage est justement que le désintéressement ou le retrait n'est pas tant une non-implication du corps et des sens qu'un processus actif de mise à distance du corps. Ainsi, et afin de sortir du terrain relativement biaisé de l'harmonie, le présent ouvrage propose d'analyser la manière dont le corps spectatoriel peut être mis à l'épreuve. S'il est vrai que les pratiques artistiques, notamment contemporaines, mettent à disposition un vaste panel de dispositif éprouvant, il n'est pas nécessairement attendu des textes portant sur les expériences esthétiques en situation artistique. L'horizon de l'ouvrage est avant tout de cartographier les manières d'être à l'épreuve en s'inspirant d'une des dimensions du sublime tel qu'il a été théorisé au XVIIIe siècle : le sublime, notamment dans l'approche kantienne, se caractérise par un dépassement d'un déplaisir qui est pourtant nécessaire pour faire advenir un plaisir. S'il est vrai que le sublime de Burke, avec l'importance qu'il donne à la physiologie, pourrait sembler plus pertinent pour un ouvrage sur le corps, l'approche kantienne ouvre quant à elle la voie à une esthétique de l'épreuve : refusant le delight de Burke, refusant donc l'idée selon laquelle l'abaissement d'une souffrance suffirait à expliquer une relation esthétique, il permet de penser avec diversité les modalités d'une esthétique de l'épreuve.

Bruno Trentini est maître de conférences en esthétique à l’université de Lorraine.

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Paul Audi : Trois peintres de la Figure. Eugène Leroy, Paul Rebeyrolle, Ronan Barrot.

L'Atelier Contemporain - Octobre 2024


Trois peintres de la Figure est le deuxième volume de la suite Proximité du tableau, initiée en 2021 par le philosophe Paul Audi, dont l’œuvre est en grande partie consacrée à mieux cerner les questions éthiques complexes qui hantent les arts en régime de modernité. Je ne vois que ce que je regarde, le premier volume paru chez Galilée, cherchait à décrire « le miraculeux de la présence » qui peut naître de la rencontre entre un regard et un tableau. Dans ce deuxième volume, ce miraculeux a pour nom « Figure ». La Figure est ce qui émerge quand a lieu une rencontre avec un tableau, cette « entité imaginale qui me regarde ». Pour comprendre les conditions de cette fragile émergence, Paul Audi prête ici une attention passionnée aux œuvres de trois peintres contemporains : Eugène Leroy, Paul Rebeyrolle et Ronan Barrot. Dans le sillage des réflexions de Jean-François Lyotard ou de Gilles Deleuze, Paul Audi cherche à penser la dimension figurale des œuvres, c’est-à-dire leur dimension essentielle, inquiétante, qui est d’une évidence troublante en même temps qu’elle ne cesse de nous échapper. Dans l’introduction de son étude, intitulée « Du tableau », il écrit : « Dans la jouissance d’une œuvre d’art, et en particulier d’une œuvre picturale, il ne m’est jamais donné de voir l’essentiel, car s’il m’arrive d’y voir quelque chose, ce quelque-chose de vu est, parmi tout ce que le tableau est capable de me montrer, ce qui en lui vient à me concerner, c’est-à-dire ce qui se met à me chercher du regard, ce qui tend à m’interpeller, voire à me frapper, à me saisir. Or ce qui, dans tout ce que l’œuvre me montre, ou à travers tout ce qu’elle me montre, agit sur moi de cette façon s’apparente à un rien – en tout cas, à rien-qui-soit-visible. » La Figure est de l’ordre de ce « rien-qui-soit-visible », aussi incertaine que saisissante. Elle ne présente ou représente rien : elle est pure « présence ». Malgré l’étendue et la précision de son savoir, Paul Audi ne déroule pas un discours philosophique qui surplomberait les œuvres et leur imposerait ses vérités conceptuelles. Au contraire, il construit une forme fragmentaire et singulière, qui découle d’une vive attention à la dimension incarnée des œuvres. Il suffit de lister les titres de quelques-uns des fragments qui agencent le premier et le plus long des trois textes, intitulé « “Trouver la figure” ― Eugène Leroy » : « Jubilation », « Vitalité », « Grammaire », « Chair », « Tableau », « Nu »… Chaque fragment est né d’une expérience sensible, d’une rencontre. « Nu » par exemple témoigne d’un saisissement devant les nus d’Eugène Leroy, qui lui ont fait comprendre que « le corps nu est avant tout la mise à nu – la mise en chair ― de la Présence, tout comme la Figure est la mise à nu – la mise en corps – de l’image. » Le deuxième texte, « “La peinture existe : elle ne finira pas” – Paul Rebeyrolle », se déploie à une plus grande vitesse, comme si l’œuvre de Paul Rebeyrolle appelait elle-même cette accélération. Cette nouvelle suite de fragments, moins nombreux, sans titres, suit le peintre marxiste dans sa démarche esthétique et éthique qui consiste à « traquer tout ce qui, à tort ou à raison, nous fait supporter l’insupportable dans le tréfonds de notre être » et à « élever au rang de Figure ce qui est si difficile à prouver », à savoir ce « scandale » qui est que « la vie ne dédaigne pas l’autodestruction ». Le troisième texte, « “Un arbre ne pousse pas sur une toile” – Ronan Barrot », se poursuit à la même vitesse, témoignant d’une forme d’urgence en face de ce qui frôle l’insupportable. « Voilà donc une œuvre [celle de Ronan Barrot] qui accorde à l’ossature d’un corps tourmenté, ou à la configuration noueuse d’un arbre charbonneux, le même rôle que celui que semble endosser la “viande” dans la peinture de Francis Bacon », écrit Paul Audi : elle nous fait voir ce que d’ordinaire le dégoût ou l’angoisse nous empêchent de voir, elle nous place devant ce qu’il nomme une figure, une présence, une « absolue singularité ». Si aucune conclusion ne succède à ces trois études de cas, c’est que Paul Audi souhaite donner à penser des contradictions, sans les résoudre. Pour lui, la vérité des figures est nécessairement paradoxale, à la frontière d’un rien quasiment imperceptible et d’une violente intensité. Un passage emprunté à Jean Tardieu, en exergue, en avertissait d’emblée : il faut penser ensemble « le plein et le vide, la présence et l’absence, l’aveuglante lumière et le velours des ténèbres », pour approcher quelque chose de « l’essence inépuisable ».

Paul Audi, né en 1963, est philosophe. Il est membre statutaire du centre de recherches PHILéPOL à l’Université Sor- bonne Paris Descartes. Spécia-liste des relations entre éthique et esthétique, auteur d’une trentaine d’ouvrages, on peut noter, parmi ses premières parutions marquantes, Rousseau, éthique et passion, aux Presses universitaires de France en 1997 et Créer. Introduction à l’esth/éthique, Verdier-poche, 2010. Plus récemment, il a publié Je ne vois que ce que je regarde : Proximité du tableau I et Le Choix d’Hemon chez Galilée en 2021, La Riposte de Molière au format poche chez Verdier, et Troublante identité chez Stock, en 2022.

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Franz Neumann : Béhémoth. Structure et pratique du national-socialisme, 1933-1944

Klincksieck - Octobre 2024


Ce livre à la fois classique et méconnu présente une analyse paradoxale du système national-socialiste comme système monstrueux, c’est-à-dire un non-État, un chaos, une situation de non-droit, de désordre et d’anarchie, ambitionnant d’établir son hégémonie sur de gigantesques étendues de terre. Objet de débat au sein du groupe de Francfort, on a d’abord retenu de cette interprétation du nazisme son orientation marxiste, surtout de par son opposition aux thèses de F. Pollock sur le capitalisme d’État, formation sociale originale qui succéderait au capitalisme de monopoles.
Pour Neumann, il s’agit en vérité d’une économie monopolistique totalitaire qui se définit par deux caractères : « C’est une économie monopoliste et en même temps une économie dirigée. C’est une économie capitaliste privée encadrée par l’État totalitaire. » Aussi une lecture plus à distance des controverses de l’époque peut-elle discerner dans Béhémoth : – à travers l’étude du national-socialisme, une analyse concrète de la primauté du politique sur l’économique au xxe siècle, en tentant d’articuler la problématique wébérienne des formes de domination à une interprétation marxiste des antagonismes de classe ; – une étude minutieuse des mécanismes de l’État totalitaire décrit comme un complexe de quatre groupes sociaux dominants qui, sous couvert d’unité, est menacé en permanence d’éclatement et de désintégration. Contre les représentations superficielles d’un fascisme monolithique, Neumann démontre que « l’État national-socialiste était en réalité pluraliste, en un sens funeste du terme. La volonté politique s’y formait à travers la concurrence sauvage des lobbies sociaux les plus puissants » (Adorno).
Béhémoth, le monstre qui règne sur la terre où le désert croît. À l’encontre du mouvement « révisionniste » et des tendances apologétiques qui visent, en Allemagne, à banaliser la socialisation totalitaire propre au national socialisme et à engendrer en douceur l’oubli de l’imprescriptible, Béhémoth, même s’il méconnait la destruction du peuple juif, rappelle que dans la société nouvelle, sous l’emprise d’une domination directe et d’un procès d’atomisation généralisée, c’est bien d’auto-destruction de l’humanité qu’il s’agissait.

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Jean-Louis Vieillard-Baron : La philosophie d'Emile Boutroux

 Kimé - Octobre 2024


Rectifier l’interprétation de la pensée d’Emile Boutroux est nécessaire. Ce philosophe est mal connu, déformé, considéré à tort comme un pur kantien, comme un épistémologue discontinuiste. C’est avant tout un grand professeur, un métaphysicien et un moraliste, orienté vers l’histoire de la philosophie. Dans la constellation spiritualiste de la fin du dix-neuvième siècle, il joue un rôle clé, car il est la référence philosophique, de même que Victor Cousin a été la référence pour la première moitié de ce siècle. Défenseur de la liberté humaine, Boutroux expose une doctrine de la contingence, garantie par la différence entre les niveaux de la réalité, et exprimée dans le spiritualisme issu de Pascal et de Kant. En outre, c’est à Boutroux qu’on doit l’introduction en philosophie de Jacob Böhme, théosophe allemand contemporain de Descartes, considéré par Hegel comme le père de la philosophie moderne avec Bacon. L’ouverture de Boutroux a peut-être contribué à sa méconnaissance injustifiée. Si l’on accorde une valeur ontologique et épistémologique à la notion de « constellation », alors Boutroux est indispensable à la compréhension du mouvement des idées en France jusqu’en 1920.

Jean-Louis Vieillard-Baron est professeur émérite de philosophie français de l'Université de Poitiers. Intéressé très tôt par la philosophie de la religion, connu pour ses travaux sur l'idéalisme allemand (Novalis, Hölderlin, Hegel, Fichte), il a beaucoup contribué au renouveau des études sur Henri Bergson et sur Louis Lavelle.

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Timothy Snyder : De la liberté

 Gallimard - Octobre 2024 - Bibliothèque des histoires


La liberté est l'engagement américain par excellence, mais, comme le soutient Timothy Snyder, nous avons tant perdu de vue ce qu'elle signifie que cela nous conduit à une crise. Trop d'entre nous considèrent la liberté comme l'absence de pouvoir de l'État : nous pensons que nous sommes libres si nous pouvons faire et dire ce que nous voulons, et nous passer de l'autorité du gouvernement. Mais la véritable liberté n'est pas tant sa provenance, son fondement, que sa destination, sa visée - la liberté de prospérer, de prendre des risques pour l'avenir que nous choisissons en travaillant ensemble. La liberté est la valeur qui rend toutes les autres possibles. De la liberté nous emmène dans un voyage intellectuel passionnant. S'appuyant sur les travaux de philosophes et de dissidents politiques tels qu'Edith Stein, Simone Weil, Vaclav Havel, Leszek Kolakowski, Henry David Thoreau, et sur des conversations avec des penseurs contemporains comme Tony Judt à une époque d'exceptionnalisme américain, Timothy Snyder identifie les pratiques et les attitudes - les habitudes de pensée - qui nous permettront de concevoir un mode de gouvernement dans lequel nous et les générations futures pourrons nous épanouir en reconnaissant l'importance des traditions (défendues par la droite), mais aussi le rôle des institutions (domaine de la gauche). Intime mais ambitieux, ce livre contribue à forger un nouveau consensus ancré dans une politique d'abondance, de générosité et de grâce.

Né en 1969, Timothy Snyder est professeur d'histoire à l'Université de Yale. Ses oeuvres ont contribué à transformer notre représentation de l'histoire européenne au XXe siècle, notamment à travers son analyse novatrice du nazisme et du stalinisme. Il est l'auteur de quinze livres, traduits en plus de quarante langues et récompensés par de nombreux prix. Ses leçons sont citées dans le monde entier pour défendre la liberté.

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jeudi 17 octobre 2024

Carlo Ginzburg : La lettre tue

 Verdier - Octobre 2024


Jean-Pierre Purry, calviniste de Neuchâtel, est formel : le meilleur climat au monde se trouve à 33 degrés de latitude. En 1731, il fonde Purrysburg, en Caroline du Sud. Pourquoi ? Dans quel sens peut-on parler d’un secret de Montaigne ? Comment transcrire la langue des Incas ? Et encore : comment peut-on accommoder le christianisme et les rites chinois ?…
Dans la variété des thèmes analysés dans ces quinze essais, le lecteur découvre peu à peu qu’un fil les relie : « la lettre tue, l’esprit vivifie ». Cette parole de Paul opposant la loi des Juifs et la foi des chrétiens, Carlo Ginzburg la corrige : la lettre tue ceux qui l’ignorent. Il faut accepter que certains auteurs choisirent, face au danger, d’écrire entre les lignes. À nous, aujourd’hui, de savoir les lire entre les lignes.
L’auteur de Mythes emblèmes traces nous demande ici de le suivre sur les traces du sens : qu’il s’agisse du sens d’une lettre, de celui d’un texte ou d’une image produite ou reproduite. Lisant lentement, l’historien nous conduit loin, au bout du monde parfois. Lentement aussi, il se retourne sur ses pas – ce qui est une définition de la méthode. D’où le tour parfois réflexif du livre, qui nous conduit à nous interroger sur les relations entre herméneutique et microhistoire, entre parole et texte, entre vérité et révélation.

Traduit de l’italien par Martin Rueff

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Christopher Laquieze : Petit traité de la mort à l'usage des bons vivants

 Guy Trédaniel - Octobre 2024


Quoi de mieux que de penser à la mort pour vivre intensément et savourer la vie!
Les Hommes meurent depuis la nuit des temps, pourtant, l'angoisse et le mystère persistent. Et si, au lieu de l'éviter comme nous esquivons un coup, nous nous rapprochions de notre finitude afin de percevoir en elle le moyen de mieux l'accepter ?
Il n'est pas si évident de mourir, tout comme il n'est pas si simple de faire revivre nos défunts malgré le vide causé par leur perte.
Ce petit traité philosophique ne parle pas de la vie avant la vie, ni de la vie après la mort, mais de la vie dans la vie.
Réfléchir sur la mort pour revenir dans le mouvement de l'existence, s'enfoncer dans les méandres de nos angoisses pour ne plus marcher à côté de sa destinée.

Christopher Laquieze est écrivain et philosophe. Il est l'auteur du Silence de la joie, paru chez le même éditeur.

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