vendredi 31 janvier 2014

La conscience a-t-elle une origine ? Des neurosciences à la pleine conscience : une nouvelle approche de l'esprit

Michel Bitbol

 
Flammarion - Bibliothèque des savoirs - Février 2014
 
Ce livre renouvelle le débat séculaire sur la possibilité de réduire la conscience à un processus neuronal. Il fait du lecteur l'arbitre de l'enquête, non seulement en tant que spectateur rationnel, mais aussi en tant qu'acteur apte à se reconnaître conscient aux moments décisifs de l'argumentation. Le fin mot de l'énigme ne se dissimulerait-il pas dans l'évidence que la question sur l'origine de la conscience a une conscience pour origine ?
Au cours de cette investigation qui mobilise la phénoménologie, la métaphysique, les pratiques contemplatives, les neurosciences et la théorie de l'évolution, chaque thèse sur la conscience est alors mise à l'épreuve d'une questionnement lancinant : pour qui vaut-elle et dans quel état de conscience doit-on être pour la soutenir ? L'objectif n'est pas d'opposer entre elles les doctrines (physicaliste ou dualiste), les stratégies de recherche (objective ou réflexive) et les directions d'étude (physiologique ou introspective), mais de les rapporter aux postures existentielles divergentes d'où elles tirent leur pouvoir de persuasion.
Une réflexion singulière sur et au cœur de la conscience.
 
 * bientôt une critique de l'ouvrage sur cette page

Après le libéralisme ? Ses impasses, son avenir

John Dewey
 
 
Climats - Janvier 2014
 
L'un des fondateurs du pragmatisme, John Dewey, souhaitait voir la philosophie. discipline à ses yeux essentiellement "critique" et expérimentale, se prolonger en une "éthique sociale" incluant toutes les sciences sociales concrètes concernées par les problèmes de la conduite humaine. Ce cycle de conférences, prononcées en 1935, dans l'Amérique du New Deal, illustre son programme : elles veulent faire comprendre au plus grand nombre les dangers, les contradictions et les limites du libéralisme contemporain, ainsi que les moyens de les surmonter.
Retraçant la généalogie intellectuelle du libéralisme américain, puis ses crises, ce livre s'achève sur un plaidoyer en faveur d'une démocratie libérale et progressiste, qui défend le droit à l'expérimentation de méthodes nouvelles et à l'intelligence collective, à travers de grandes missions d'éducation. Dewey se prononce avec une clairvoyance inégalée en faveur d'une inversion des priorités : remettre les hommes au coeur de la politique et de l'économie, pour préserver et renouveler la démocratie.
 
* critique du livre bientôt sur cette page
 

L'essence de la renonciation : Essai d'ousiologie égologique sur la trinité de l'immanence

Patrice Guillamaud
 
 
Editions Kimé - "Philosophie en cours" - Janvier 2014
 
Le livre est une étude portant sur le moi ou l’intériorité comme affectivité. Il met en oeuvre une nouvelle science philosophique définie comme ousiologie. Cette dernière est la science des essences. Dans ce livre, cette même science porte sur les essences constitutives de cette même intériorité. Tout en intégrant certains acquis de la philosophie de Michel Henry, elle en remet en cause certains aspects fondamentaux.
L’intériorité est en effet définie comme étant immanence, à savoir comme étant à la fois une unité et une absence absolue de distance par rapport à soi ou une absence absolue de sortie de soi. Pourtant, cette unité est aussi paradoxalement reconnue comme étant une triplicité ou encore une trinité des essences internes. Elle est de même paradoxalement définie comme étant une sortie de soi qui reste pourtant au coeur de soi. C’est ce double paradoxe qui constitue l’essence du moi comme renonciation. La renonciation est plus exactement l’histoire interne, essentielle et universelle du moi qui passe par les trois essences de l’aspiration, de l’action et de l’accomplissement.
Une combinatoire des trois essences affectives permet par ailleurs de définir une pluralité de natures affectives: la médiocrité, la liberté, la destinée, le dévouement, le génie et la sainteté. Cette définition des natures égologiques est aussi fondamentalement une remise en cause de l’affirmation sartrienne selon laquelle il n’y a pas de nature humaine.
 
* critique du livre bientôt sur cette page
 
 

La société de la fatigue

Byung-Chul Han -Traduction de l'allemand par Julie Stroz
 
 
Circé - Janvier 2014
 
Actuellement un changement de paradigmes s’accomplit de manière inaperçue. La société de la négativité cède la place à une société qui est possédée par un excès en positivité. En partant de ce changement de paradigmes, Han dessine le paysage pathologique de la société d’aujourd’hui auquel appartiennent les maladies neuronales  comme la dépression, le syndrome de déficit ou d’attention, le borderline ou le burnout. Il ne s’agit pas d’une quelconque infection, mais d’infarctus qui sont conditionnés non par la négativité immunologique  de l’autre, mais par un excès de positivité. Ainsi ils échappent à toute technique immunologique de prophylaxie. L’analyse de  Han se clôt,  dans la vision d’une société qu’il appelle du terme ambivalent de  « société de la fatigue ».
 
chronique à paraître bientôt sur cette page
 

mercredi 29 janvier 2014

Leibniz, Herrenhausen et Versailles. Le jardin à la française, un parcours de la modernité

Horst Bredekamp
 
 
 
Par la forme de ses plantes, son plan de circulation, ses jets d'eau et ses sculptures, et par ses dimensions, le jardin de Herrenhausen appartient aux ensembles les plus importants de l'histoire des jardins. Et s'il est un parfait exemple du jardin géométrique, il permet aussi de repenser l'opposition traditionnelle entre le jardin paysager anglais et le jardin à la française. La clé de cette interprétation est Gottfried Wilhelm Leibniz. Observant que toute nature possède une forme individuelle, Leibniz envisage la diversité des formes comme l’instantané d’un monde en mouvement. Dès lors, c'est dans le détail que se déploie une diversité dont l’effet est d'autant plus vigoureux qu’elle est limitée par des lignes droites, et c'est dans le continuum de la variation que réside la régularité de l’espace géométrique.
           

De Saint-Victor Achard : L’unité de Dieu et la pluralité des créatures : De unitate Dei et pluralitate creaturarum

Reprint de l’édition de 1987 établie, traduite et présentée par Emmanuel Martineau

 
Presses universitaires de Caen - Collection Fontes & Paginæ - Janvier 2014
 
Anglais d’origine, Achard de Saint-Victor, étoile discrète de l’abbaye parisienne du même nom (aujourd’hui le site de l’université de Jussieu), fut ensuite, de 1161 à 1171, date de sa mort, évêque d’Avranches, ce qui lui donna l’occasion de favoriser les bonnes relations entre les royaumes de France et d’Angleterre (ne deviendra-t-il pas le parrain de l’un des enfants d’Aliénor ?).
Longtemps menacé d’oubli définitif, le seul des évêques d’Avranches à avoir laissé une œuvre importante a trouvé en Jean Châtillon († 1988) un biographe et un éditeur de ses discours également rigoureux. Mais il manquait encore une édition de son maître-ouvrage, L’unité de Dieu et la pluralité des créatures, un traité où spiritualité et métaphysique sont étroitement imbriquées et qu’un manuscrit unique de la Bibliothèque Saint-Antoine de Padoue a miraculeusement conservé. En voici donc le texte établi, traduit et commenté.

Le phénomène et le sens. La phénoménologie comme science fondamentale et ses problèmes

Gustave Gustavovitch Chpet
Maryse Dennes et Françoise Teppe (traduction)

 
Maison des Sciences de l'Homme d'Aquitaine - 2013
 
Depuis quelques années l’œuvre du philosophe russe Gustave Chpet (1879-1937) est l’objet d’une réhabilitation et d’une reconnaissance internationale. Après la parution, en France, de la traduction de Vnutrennjaja forma slova (1927), sous le titre La Forme interne du mot (Kimé, Paris, 2007, trad. N. Zavialoff), nous proposons aujourd’hui celle de Javlenie i smysl : Le phénomène et le sens. Cet ouvrage, publié à Moscou en 1914, était destiné à présenter la phénoménologie husserlienne en Russie. En fait, il allait devenir le point de départ d’une œuvre originale, alliant phénoménologie et herméneutique, et dont l’importance dans le développement du structuralisme, de la sémiotique et des sciences humaines en général est aujourd’hui irréfutable.

jeudi 23 janvier 2014

Quand les enfants philosophent. Analyses plurielles du corpus Philosophèmes

Sous la direction d’Emmanuèle Auriac-Slusarczyk  et de Mylène Blasco-Dulbecco
Cahiers du LRL, n°5




Ce nouveau numéro des Cahiers du LRL se penche sur l’analyse du corpus Philosophèmes, basé sur la transcription de discussions à visée philosophique tenues dans des classes de l’école primaire et du collège.

Ce numéro consacre la présentation du travail pluridisciplinaire réalisé par des chercheurs en sciences du langage, en psychologie et en sciences de l’éducation sur la base d’un corpus commun. Le corpus Philosophèmes, basé sur le recueil et la transcription de discussions à visée philosophique tenues dans des classes de l’école primaire et du collège, est étudié en tout ou partie par chaque spécialiste. Les mouvements de pensée présents dans les dialogues entre l’enseignant et les élèves, ou entre les élèves eux-mêmes, sont passés au crible pour rendre compte de la richesse d’une pratique pédagogique innovante. Les spécialistes se saisissent, au cœur même de la genèse des discussions, d’éléments jugés représentatifs : focalisation, glissements sémantiques, formes grammaticales, mouvements discursifs, boucles conversationnelles, figures de raisonnements, préservation de face, usages lexicaux, dynamique de l’activité, étayage enseignant, exigence de pensée. L’étude de ce corpus scolaire longitudinal augure que l’avènement de paroles – comme « moi je dirais que quand tu meurs tu as déjà utilisé ta vie, donc c’est à peu près comme une pile quoi » – ne repose pas sur le hasard chez de jeunes élèves. Est démontré que le lien entre l’enfance et la philosophie, cher à Montaigne, n’est pas une vue de l’esprit, mais une réalité en classe.

La place de l'autre

Bernard Noël


P.O.L. - Novembre 2013

Sur près de 900 pages sont regroupés des textes épars publiés ici et là, dans des revues, dans des plaquettes, ou inédits, en tout cas pour la plupart introuvables. La thématique générale est ici celle de la littérature, de la création littéraire. Cela passe par la critique (Rimbaud, Mallarmé, Villiers de L’Isle-Adam, Blanchot, Artaud, Sade, Michaux, etc.) mais une critique très particulière car elle ne cesse de poser cette question : qu’est-ce qu’écrire ? Cela passe aussi par des textes qui pour n’avoir pas pour objet des œuvres ou des auteurs, pour se rapprocher plus du récit ou de la fiction, posent et reposent la même question, directement ou non. Comme à l’accoutumée Bernard Noël est, y compris dans ce qui peut ressembler à des essais, dans l’écriture, la création et, du corps à la politique, il y va de bien autre chose qu’une démarche simplement spéculative.


Émile Meyerson

Frédéric Fruteau de Laclos



Les Belles Lettres - "Figures du savoir" - Janvier 2014

Émile Meyerson (1859-1933), philosophe français, juif d'origine polonaise, chimiste formé en Allemagne, a élaboré une œuvre de philosophie des sciences considérable, forte de plusieurs volumes, qui embrasse les conceptions de la science classique comme les principes de la thermodynamique, la théorie de la relativité et la mécanique quantique.
L'œuvre de Meyerson a longtemps été négligée dans la tradition épistémologique française, alors qu'elle avait rallié à elle nombre des physiciens aussi éminents qu'Einstein et de Broglie ou des psychiatres comme Minkowski et le jeune Lacan.
La « philosophie de l'intellect » de Meyerson fait de la recherche d'invariants dans la nature le principe fondamental de la raison et le ressort inaperçu de l'histoire des sciences. Elle a su aussi bien s'expliquer avec la pensée idéaliste allemande qu'interroger le fonctionnement du sens commun. Elle a entretenu des relations complexes avec certaines théories majeures de son temps, celles de Brunschvicg et de Bachelard, ou celles de Frege et de Schlick. Par son analyse des paradigmes scientifiques du passé, Meyerson annonce Koyré et Kuhn, qui se sont d'ailleurs réclamés de lui. Il ouvre ainsi des perspectives plus que jamais d'actualité dans les débats contemporains en philosophie des sciences.

mercredi 22 janvier 2014

L'Espace intérieur

Jean-Louis Chrétien


Les Editions de Minuit - Février 2014 (à paraître)

S’approprier un lieu pour l’habiter est un acte fondamental de l’homme. Mais ce que nous sommes, il nous faut aussi apprendre à le faire nôtre, en découvrant, exerçant et habitant nos possibilités. Cet espace intérieur est-il essentiellement celui de ma solitude, où nul autre ne peut pénétrer, ou peut-il être celui d’une hospitalité, un vide central où Dieu vient demeurer ?
Dans la continuité d’une tradition qui remonte à la Bible, nos diverses demeures (chambre, appartement, maison, temple, château…) ont permis de figurer et de décrire l’intériorité humaine. Il s’agit de schèmes variés, tantôt pour explorer, tantôt pour construire notre personnalité, et par là pour penser le jeu de nos forces et de nos désirs, le déploiement de nos pensées et de nos actes, et en dégager des lois, selon une topique, du mot qui signifie la disposition des lieux.
Une rupture et un renversement marquent cette histoire. La topique chrétienne, largement méconnue, forme un modèle diversifié et approfondi au long des siècles, lequel pose l’identité humaine comme habitable par une autre présence que la nôtre. À partir de la Renaissance, et depuis Montaigne jusqu’à Rousseau et Kant, tout comme dans la poésie et le roman, elle tend à s’effacer, avec son horizon mystique, au profit d’un face-à-face avec moi-même, tout en usant des mêmes schèmes. Ainsi se fondent l’identité moderne et la subjectivité.
À travers la pensée de nombreux auteurs, de saint Augustin à sainte Thérèse d’Avila, d’Origène à Dante, de Baudelaire à Freud, ce livre décrit et médite, selon une généalogie, un axe oublié de la pensée de l’identité, lourd de questions toujours aiguës.





Critique n° 799 : Fauteurs de doute

Décembre 2013



Editions de Minuit

Le doute, l’ignorance assumée ont longtemps été des armes sceptiques ; l’esprit critique, la méthode scientifique y ont vu une dimension constitutive de la connaissance. Mais aujourd’hui, certains se font un art d’invoquer l’ignorance ou d’encourager le doute au nom de la science pour mieux perpétuer les points aveugles et les biais épistémiques favorables à leurs intérêts. Climato-sceptiques, spécialistes du monde économique, porte-voix des cigarettiers se sont faits fauteurs de doute, et leur industrie est florissante. Ce phénomène suscite en retour, depuis quelques années, des travaux novateurs qui visent à élucider les ressorts cognitifs de la manipulation et de la domination sociale. Ainsi est née l’« agnotologie », qui se penche sur les rouages de cette fabrique du doute. Son principal promoteur, Robert Proctor, auteur de Cancer Wars, accorde à Critique un entretien inédit, complété par les analyses de Mathias Girel et de Roberto Frega.


Sommaire 


Présentation

Mathias Girel : Agnotologie. Mode d’emploi 
Robert N. Proctor, Golden Holocaust. Origins of the Cigarette Catastrophe and the Case for Abolition
Stéphane Foucart, La Fabrique du mensonge
Stuart Firestein, Ignorance. How It Drives Science
Naomi Oreskes et Erik M. Conway, Les Marchands de doute

Roberto Frega : L’épistémologie des dominés 
José Medina, The Epistemology of Resistance. Gender and Racial Oppression, Epistemic Injustice, and Resistant Imaginations

Entretien 

Robert Proctor et la production de l’ignorance 
Entretien réalisé par Mathias Girel

Jean-Marie Schaeffer : La stase et le flux. L’expérience esthétique entre épiphanie et trace
Laurent Jenny, La Vie esthétique. Stases et flux

Elsa Boyer : Complexes sportifs 
Patrice Blouin, Images du sport
André Scala, Silences de Federer

Arnaud Bouaniche : Ce que vivre signifie 
Frédéric Worms, Revivre. Éprouver nos blessures et nos ressources
La Vie qui unit et qui sépare


dimanche 19 janvier 2014

AXEL HONNETH. Le droit de la reconnaissance

Louis Carré


Michalon - Le Bien commun - Octobre 2014

Depuis une vingtaine d’années, les réflexions d’Axel Honneth se sont imposées comme une référence majeure dans les domaines de la philosophie morale, sociale et politique. On en retient souvent le thème de la reconnaissance. Il ne représente pourtant qu’un aspect d’une œuvre qui, en dialogue constant avec ses contemporains (Rawls, Taylor, Fraser) et ses aïeux plus ou moins lointains (Hegel, Marx, l’École de Francfort), n’a cessé d’évoluer et de s’approfondir. Plus que le thème de la reconnaissance, c’est l’idée d’une vie « éthique démocratique » qui permet de retracer au mieux cette évolution. Elle appelle l’attention sur deux thèses que Honneth va puiser dans la Philosophie du droit de Hegel pour en montrer la pertinence toujours actuelle. La première veut que les demandes de reconnaissance possèdent un droit légitime lorsqu’elles contribuent au maintien, à l’intensification ou à l’élargissement de la « liberté sociale » de tous les concernés. La seconde que les rapports interpersonnels de reconnaissance soient disséminés parmi les institutions de la « vie éthique » moderne.

L’enjeu que soulève la pensée critique de Honneth est alors d’examiner si, aujourd’hui, les institutions de la reconnaissance auxquelles nous participons – la famille, le marché du travail, l’État de droit, l’espace public – méritent véritablement le qualificatif de « démocratiques ».

samedi 18 janvier 2014

Traduire, transcrire, trahir ?

Yves Texier


Editions M-Editer - Collection : Livre'L - janvier 2014

L’acte de traduction, qui remonte mythiquement à l’échec de la Tour de Babel, et qui est si difficile à définir, si curieux à observer, a ceci de singulier qu’il est à fois possible d’en démontrer l’impossibilité théorique et de contester cette impossibilité par le constat empirique de sa nécessité, de sa réussite et de son efficacité. Plus singulier encore, il représente peut-être le cas le plus emblématique où l’activité de l’un répond à la demande d’un autre qui, dans le besoin où il se trouve, ne peut que faire confiance à celui qu’il appelle à son secours.

L'excès, une passion moderne

Philo & Cie n°5, mai - août 2013


Editions Liber (Québec) - Juin 2013


Éditorial de Giovanni Calabrese, Logiques de l'excès (extrait)

Pas un jour ne se passe sans qu’on entende parler de quelque excès. De boisson, de nourriture, de drogues, de force, de vitesse, de pouvoir, de richesse, de déchets. On ne dira pas excès de pauvreté parce qu’il y a dans l’idée d’excès quelque chose de volontaire et de conquérant. Pour la même raison, on pourrait penser qu’on a tort de parler d’excès de bêtise, en ce que celle-ci ne serait ni l’un ni l’autre. Mais on se tromperait : la bêtise comporte un mouvement d’accord, de consentement, et même une forte dose d’ambition : dans Le dîner de cons, par exemple, on voit très bien que la bêtise du personnage réside dans le fait même de vouloir prendre les devants avec un enthousiasme enflammé qu’il espère contagieux. Naturellement, cela ne réussit pas, ce qui ne décourage pas notre héros. Notre époque non plus, qui, malgré les ratés, se précipite à corps perdu vers le futur et qui, dans ce sens, connaît les excès peut-être mieux que n’importe quelle autre. Dans les termes de Jean-Jacques Pelletier, nous sommes dans une époque « de l’extrême » aux innombrables « pratiques ordinaires de l’excès ». À son avis, on peut même la dater d’une cinquantaine d’années, ce qui lui donne l’âge de la postmodernité, ou de l’hypermodernité, de la société technoscientifique, celle de l’individualisme effréné et paradoxalement des masses consensuelles, de la fin des grands récits, de la perte des repères, autrement dit de la mesure.

Mais tout cela a une préhistoire et une histoire sans doute plus longues et plus complexes, que plusieurs des contributeurs à ce numéro évoquent dans leur texte : mouvement civilisationnel de la rationalisation, logique de la science, affranchissement de l’individu et de ses sentiments… C’est le monde moderne dans son ensemble qui est en quelque sorte placé sous le signe de l’excès, en ce qu’il est tout entier orienté vers l’avenir — progrès ou perfectibilité — pour la réalisation duquel nous devons à chaque pas dépasser les limites. Ce faisant, la notion perd la fonction normative qu’elle avait dans l’Antiquité. On se souviendra que, dans la pensée grecque, l’hybris était la pire faute que pouvait commettre l’homme en proie à la passion, à l’orgueil, la cause de la nemesis qui le frappait. Les dieux punissaient ceux qui dépassaient les limites assignées par la nature et rétablissaient ainsi l’ordre du monde.

Dans une culture du progrès, l’excès acquiert un autre rôle, celui de stratégie motrice d’avancement. Il entre alors en rapport dialectique avec l’ordre lui-même, à qui il permet d’avancer. Sans excès, sans démesure, le monde social resterait immobile, stagnant. De même pour l’individu. Du point de vue théorique, nos sociétés retrouvent ainsi ce que l’anthropologie a compris des anciens groupes humains : c’est en passant par l’excès (initiatique, festif) que les nouvelles générations étaient intégrées à l’ordre collectif. C’est par l’excès peut-être que nous sommes en même temps dans l’ordre et dans l’aventure, comme disait Apollinaire.

Voilà ce que les textes réunis dans ce numéro peuvent donner à penser. J’espère que le lecteur poursuivra lui aussi la réflexion. Si, comme tout concept transversal, l’excès, l’hybris, la démesure demeure pluriel et fuyant, il n’en est pas moins éminemment fécond.

vendredi 17 janvier 2014

Masdar. La mue du monde

Mathieu Terence


Les Belles Lettres - Janvier 2014

Je vis à une époque où des enfants se suicident. Ce n'est plus la princesse au bois dormant qu'il faut réveiller, c’est le réveil lui-même. Ils ne sont pas nombreux, les êtres qui ne confondent pas le monde « contemporain » chlorotique avec la vérité de la vie. J’ai envie d’une réalité qui électrise le plus tendre de mon cœur. Mais c’est à moi de la percevoir, de la comprendre. Elle vient de partout insuffler ce qui dessoiffe l’esprit.

Près d’Abu Dabi, dans les Émirats arabes unis, Masdar sort des sables. Masdar ? Un titanesque chantier à ciel ouvert, une ville écologique high tech que finance la manne pétrolière. Le théâtre, aussi, des métamorphoses d’un monde qui confond chaque jour un peu plus la technique et le vivant. Pour dire cette mutation, Mathieu Terence livre une réflexion aux confins de l’enquête philosophique, du traité d’urbanisme et du récit de voyage. Au terme d’un périple griffé d’éclats poétiques qui le mènera jusque dans le désert, au sud de Liwa, le narrateur de Masdar, témoin de l’uniformisation de la planète aura lui aussi changé, et le lecteur trouvé peut-être les conditions d’une renaissance.

« Locus » propose la rencontre d’un lieu et d’un regard.

Petite histoire du paysage. Essai

Hansjörg Küster


Circé - Janvier 2014

Jardins à l’italienne, à la française ou à l’anglaise, nature sauvage ou nature préservée, bruyère, forêt ou montagne : le paysage, c’est tout cela.
Il est même des paysages lunaires, urbains ou encore des paysages d’intérieur.
A l’opposé de la nature qui vit et se transforme indépendamment de sa perception par les hommes, le paysage est toujours un produit de l’esprit humain. Lorsque nous observons un paysage, nous l’interprétons. Métaphores, ambiances et associations d’idées viennent se greffer sur ce que nous voyons. Fondamentalement humain, le paysage est cependant toujours composé d’éléments naturels. Même les paysages urbains et les parcs, endroits complètement artificiels, sont en partie soumis à l’action de la nature. A l’inverse, un paysage n’est jamais purement naturel. Pour Hansjörg Küster, le paysage est un véritable livre d’histoire que l’on peut lire et que l’on continue d’écrire au quotidien – que l’on soit agriculteur, architecte ou simple observateur tombé sous le charme de la beauté du panorama.


mercredi 15 janvier 2014

Sérendipité. Du conte au concept

Sylvie Catellin


Seuil - "Science ouverte" - Janvier 2014

Quand Walpole invente le mot « sérendipité » en 1754, il évoque la faculté de découvrir, « par hasard et sagacité », ce que l’on ne cherchait pas. Aujourd’hui, le terme connaît une vogue croissante au sens de « découverte par hasard ». Mais si cette focalisation permet d’affirmer la dimension imprévisible et non programmable de la recherche, l’occultation de la sagacité empêche de saisir ce que « sérendipité » désigne véritablement, et qui est au cœur de toute découverte.

Pour comprendre le sens profond du terme, il faut remonter aux contes orientaux qui ont inspiré Walpole et Voltaire (pour la « méthode de Zadig »), et lire les romanciers et les savants qui se sont passionnés pour cette idée. Parmi eux, Balzac et Poe, Freud et Poincaré, Cannon et Wiener. Tous ont cherché à saisir le fonctionnement de l’esprit humain quand il est attentif à ce qui le surprend et en propose une interprétation pertinente, par l’association d’idées, l’imagination, la réflexivité.

L’étonnante histoire du mot révèle de profonds changements dans la conception des processus de création, et dans les rapports entre sciences, littérature et politique. Au terme de l’enquête, ce mot venu d’un conte ancestral acquiert la puissance d’un concept, porteur d’enjeux épistémologiques, politiques et humanistes.

Préface de Laurent Loty

SAINT-JUST : Rendre le peuple heureux. Rapports et décrets de ventôse. Institutions républicaines.

Textes établis et présentés par Pierre-Yves Glasser et Anne Quennedey


La Fabrique Editions - Octobre 2013

« Ne souffrez point qu’il y ait un malheureux ni un pauvre dans l’État : ce n’est qu’à ce prix que vous aurez fait une révolution et une république véritable»: cette exhortation, c’est le grand thème de Saint-Just, aussi bien dans son rapport devant la Convention le 8 ventôse an II que dans son projet d’Institutions républicaines. Il attaque les Indulgents (nous dirions les modérés), « une secte politique qui joue tous les partis ; elle marche à pas lents. Parlez-vous de terreur, elle vous parle de clémence ; devenez-vous cléments, elle vous vante la terreur ; elle veut être heureuse et jouir ». Et les décrets de ventôse prévoient que « les biens des personnes reconnues ennemies de la Révolution seront séquestrés au profit de la République » et distribués aux patriotes indigents. Dans le projet d’Institutions, Saint-Just cherche à refonder la société au profit des plus faibles – les pauvres, les enfants, les vieillards, les femmes –, à créer les conditions d’une égalité concrète, à lutter contre les formes d’oppression héritées du passé. Car – on l’a un peu oublié de nos jours – « les malheureux sont les puissances de la terre ; ils ont le droit de parler en maîtres aux gouvernements qui les négligent. »

Revue GRUPPEN N°8

Janvier 2004



Entrevue avec PATRICK TORT — Darwin et sa légende.
ÉLIANE MARTIN-HAAG — De l’opinion selon Rousseau à l’idéologie selon Marx.
Au sein de la recherche portant sur les origines spinoziennes de la philosophie marxiste, il s'agira de montrer que Rousseau est le chaînon manquant reliant Spinoza à Marx, et que Marx est donc spinoziste, dans la mesure où il est rousseauiste.
YANN BEAUVAIS — Daniel Eisenberg : du fragment et de la persistance.
La question de l'histoire, de la mémoire, de l'urbanisme contemporain et de ses représentations, ainsi que celle des médias et de leurs effets, sont quelques uns des sujets privilégiés du cinéma de Daniel Eisenberg. Nos comportements sont façonnés par un ensemble d'histoires et par les espaces que nous occupons, traversons ou habitons. Chaque proposition du cinéaste investit un ou plusieurs de ces champs.
ILAN KADDOUCHJULIEN LAROCHE — Étude de trois cas d’improvisation.
La création musicale improvisée est un dialecte représentatif de la construction de notre existence au sein d’un monde de significations partagées.
SERGE PEY — Le poulailler de la philosophie.
KEVIN LUCBERT — Mountain Fire et Le temps du Loup.
Dessins issus de deux séries : "Mountain Fire" et "Le temps du Loup", réalisées au bic sur papier, entre 2012 et 2013. Cabanes solitaires, lueurs incertaines, forêts chimériques. Passé et futur tissent leurs rêves de bois.
SÉBASTIEN MIRAVÈTE — Moralité, esthétique et vérité de la clinique et de l’expérimental.
La recherche expérimentale est plus rigoureuse que la pratique clinique, lorsqu'il s'agit d'élaborer une théorie. Pourtant, cette rigueur empêche le chercheur, plus que le praticien, d'être créatif et altruiste.
OANA BARBU — La sanction artistique des abus du régime totalitaire dans la Roumanie post-décembriste.
Cet article analyse la situation de l'art contemporain dans la Roumanie post-communiste. Face à l’amnésie dont certains font preuve au sujet des années Ceausescu, l'art semble être le dernier gardien d’une mémoire qui nous permet de penser la Roumanie contemporaine et son récent passé.
PIERRE-ULYSSE BARRANQUE — Pratique intellectuelle et répression sociale de l’art chez Karl Marx. Esthétique de Marx II.
Marx n'est pas seulement un théoricien de l'exploitation des corps ouvriers, sa philosophie permet également de comprendre l'origine sociale de l'anéantissement de la créativité artistique pour la grande majorité de la population.
LAURENT JARFER — Maraboutage épistolaire.
Les Mots de BONNEFOY — Mots Croisés.

http://www.revuegruppen.com/gruppen


mardi 14 janvier 2014

MAX WEBER : La domination

Traduit par Isabelle Kalinowski


La découverte - Collection : SH / Politique et sociétés - Janvier 2014

Près d'un siècle après sa publication en allemand, La Domination est enfin disponible en traduction française, sur la base de l'édition critique de référence. Il s'agit d'une pièce fondamentale de la sociologie politique de Max Weber. 
Ces manuscrits, rédigés avant la Première Guerre mondiale, sont fascinants par leur érudition et leur inventivité conceptuelle. C'est en les rédigeant que Weber forge des notions qui restent aujourd'hui encore des références incontournables pour toute sociologie politique : les trois modes de domination légitime, le passage de la domination des notables à la domination des partis de masse, l'opposition groupe de statut (Stand)/classe (Klasse), le patrimonialisme, la hiérocratie, la domination charismatique et le charisme de fonction n'en sont que les exemples les plus célèbres. 
Weber se lance dans une sociologie historique comparative qui préfigure l'histoire globale. Brossant un tableau impressionnant par son ampleur de vue, l'auteur construit les idéaux-types des différents régimes de domination pour mettre le monde occidental moderne en perspective : les dominations bureaucratique, patrimoniale, féodale et charismatique sont ainsi passées en revue. Il étudie aussi les relations entre domination spirituelle et domination temporelle. 
Cette sociologie historique place le projecteur « par en haut », adoptant le point de vue des dominants et de leur appareil de domination. Elle jette une lumière sans fard sur la réalité des rapports sociaux et pose en retour une série de défis : comment penser l'action des dominés ? Comment articuler le rôle de savant et celui de politique ? Comment bâtir des idéaux-types de la politique qui dépassent radicalement l'eurocentrisme ?

lundi 13 janvier 2014

La crise de la philosophie en France au 21e siècle

Emile Jalley


L'Harmattan - La philosophie en commun - Janvier 2014

Il a existé un paradigme de la démarche dialectique en philosophie, illustré par une succession continue d'auteurs, entre Platon et Lacan. Ce paradigme concerne un noyau rationnel de la contradiction formé de trois temps : une double composante statique et dynamique, ainsi que l'articulation de ces deux versants en un produit. C'est de ce paradigme de la contradiction dialectique que la philosophie en France ne semble plus avoir su faire usage dans la période consécutive à 1968.

L'Œuvre-monde. Essai sur la pensée du dernier Lukács

Pierre Rusch


Klincksieck - Coll. d'Esthétique - Octobre 2013

À partir de l'œuvre du dernier Lukács (1885-1971), cet essai vise à dégager quelques axes directeurs d'une pensée intégrée de l’homme, de la société et de la culture. La préoccupation majeure est de restituer cohérence et dignité à une réalité toujours plus morcelée : la vie quotidienne, lieu de toutes les aliénations, contient aussi en germe les formes d’activité les plus exigeantes et les plus rigoureuses. L’histoire montre certes comment ces sphères (spécifiées en religion, philosophie, droit, art, science, technique) se différencient et s’autonomisent progressivement, forgeant une nécessité propre qui vient se superposer à leurs fonctions sociales. Mais l’exigence morale s’accroît parallèlement de réintégrer toutes les avancées de l’esprit humain, et le souvenir de son histoire, dans une conscience commune de l’humanité. L’œuvre d’art a ici une valeur paradigmatique, dans sa capacité à créer des mondes démarqués du monde vécu, à la fois témoignages et revendications.

dimanche 12 janvier 2014

Bergson dans le miroir des sciences

Paul-Antoine Miquel


Editions Kimé - Coll. Philosophie en cours - Janvier 2014

Cet ouvrage est une reprise du livre publié chez Kimé en 2007 : Bergson ou l’imagination métaphysique. J’y introduis pourtant des changements assez importants. Il s’agit essentiellement de mettre en valeur le fait que Bergson n’est pas un simple philosophe de l’immanence. C’est un philosophe de l’immanence redoublée. Ce point apparaît clairement, explicitement à travers l’analogie entre la durée de la conscience et la durée de l’univers qu’il développe dans son ouvrage de 1907. Mais il trouve son origine dans le premier chapitre de Matière et mémoire.
C’est pour comprendre ce redoublement que se construit chez Bergson une nouvelle vision des relations entre la philosophie et la science. La connaissance n’est plus relative. Elle participe à l’absolu. Elle engage ontologiquement. Le donné n’est plus directement constitué, il faut pour que l’intuition philosophique le saisisse, qu’elle « chevauche l’intelligence ».
Enfin ce que ce redoublement engage, c’est une philosophie du devenir fondée sur la théorie des deux ordres. On ne commente souvent que l’aspect négatif de cette théorie : la critique de l’idée de néant. Là n’est pas pour nous le point le plus central. Cette théorie nous engage à ne plus penser l’absolu comme complet, intelligible, ou encore parfait. L’absolu, qu’il soit l’esprit, la vie ou la matière est toujours défini par l’inachèvement, puisque ce qu’il n’est pas n’est jamais du rien. C’est un autre visage de lui-même.

La grace désaccordée

André Hirt


Editions Kimé - Coll. Philosophie en cours - Janvier 2014

Ce qui a été n’est plus possible. Ce qui a disparu existe peut-être encore. Mais rien ne nous est plus accordé.
Dans des temps plus anciens, l’existence pouvait se soutenir, par la croyance et la prière, par la simple attente ou par la présence du mystère, d’un espoir en une grâce. Celle-ci pouvait être concédée, malgré l’ignorance dans laquelle on se trouvait de la décision divine et de son libre vouloir, ou méritée par le travail de la vertu. Rien de tout cela, de cette sanction de l’existence, de son évaluation propre, ne constitue plus le plan ou la perspective par rapport auxquels les hommes perçoivent le sens de leur vie.
Ce n’est pas qu’il n’y ait plus « la grâce », nous n’en savons strictement rien, c’est que l’idée elle-même s’est évanouie au pire dans la superstition, au mieux dans ce qui reste, chez certains, de croyance. Les créatures et le monde se sont désormais repliés sur eux-mêmes, ils ne sont plus portés, ou enveloppés dans un orbe qui en définitive sublimerait ce monde déchu.
La grâce, en somme, est désormais désaccordée. Il reste à savoir si elle est capable d’infléchir son sens originellement théologique, et si, devenue au mieux douloureusement profane, elle possède une chance de nous délivrer envers et contre tout un bonheur, celui vers lequel tend l’œuvre paradoxale de Kleist, et une « vraie vie » comme l’a désiré Proust.

Penser comme on veut

Georges Picard


Editions Corti - Coll. En lisant En écrivant - Janvier 2014

Ce livre n’est pas un traité de philosophie. L’auteur y pense comme il veut sur le fait de penser comme on veut : « Le plaisir de penser me semble provenir d’une impression de liberté intérieure, encore plus que de l’espoir d’établir des vérités. Les idées valent par elles-mêmes quand on en a le goût. Toutes n’appellent pas l’approbation ou le rejet… Quand elle n’est pas sollicitée par une question pressante, la pensée a la gratuité d’une activité esthétique, et c’est sans doute ce qu’elle est, indépendamment de sa qualité intrinsèque. Un peu comme le plaisir de marcher, de courir, de siffler, de chanter ; comme tout dégourdissement physique ou mental motivé par l’amusement d’exister. »

Georges Picard défend l’idée que la vitalité de la pensée vaut autant que les conclusions auxquelles elle aboutit. Renouant avec l’esprit dilettante symbolisé par le Neveu de Rameau (« Mes pensées, ce sont mes catins »), il penche pour une conception désillusionnée mais dynamique de la pensée. « Les théoriciens qui ont la prétention de nous faire croire à la nécessité des idées qu’ils défendent, alors qu’elles sont au plus judicieuses ou originales, que leur pertinence est celle d’une logique singulière, donc arbitraire, jouent avec notre crédulité de lecteurs assoiffés de belles histoires… La jouissance de penser ne suppose pas une fidélité éternelle à ses opinions ; l’essentiel, c’est le cheminement qui maintient l’esprit dans une fraîcheur toujours prête à se laisser surprendre par la nouveauté. ».

jeudi 9 janvier 2014

Les Atomistes

Theodor Gomperz


Ed. Manucius - Coll. "Le philosophe" - Janvier 2014

Si, depuis l’Antiquité, les philosophes n’ont cessé de penser avec Démocrite, ils ont trop souvent ignoré ce qu’ils lui devaient. Ainsi, alors qu’il l’utilisait pour élaborer sa propre physique, Aristote le considéra comme un physiologue sans originalité, tandis qu’Épicure s’attribua injustement son œuvre.
La place accordée à Démocrite et aux atomistes par Theodor Gomperz constitue une juste réhabilitation. Et pour cause, Leucippe et Démocrite ne sont rien moins que les pères fondateurs d’une physique corpusculaire abandonnant les anciens principes qualitatifs pour expliquer le mouvement et la nature. Tout, jusqu’aux dieux eux-mêmes, devait se résumer à des corps simples, insécables, impénétrables, extrêmement ténus et mobiles, dont l’entrechoc permanent produit les sensations et dont la reconfiguration infinie engendre la totalité des êtres et du monde.
Au XIX e siècle, Marx consacra à Démocrite une partie de sa thèse de doctorat, et l’on peut supposer à quel point cela détermina la formation de son propre matérialisme. à la même époque, l’éthique hédoniste et utilitariste du philosophe abdéritain ne manqua pas d’inspirer John Stuart Mill et Jeremy Bentham.
Cinquième opus extrait de l’œuvre de Theodor Gomperz, Les Penseurs de la Grèce publié aux éditions Manucius, après Les Sophistes, Les Médecins, Parménide et ses disciples et Héraclite, Les Atomistes se présentent comme un guide clair et précis de la genèse de la pensée de l’atome.
 
* critique à paraître bientôt sur cette page

Essai sur la grandeur

Didier Laroque


Ed. Manucius - Coll. "Le philosophe" - Janvier 2014

Cet essai relate l’aventure d’une conscience peu à peu délivrée de la personnalité comme de l’égoïsme. Un tel élargissement ne procède pas d’un prétendu et illusoire renoncement à la passion du propre : il provient d’une connaissance qui dévoile son principe, puis d’un acte lui marquant fidélité.
Le propos s’ordonne selon trois stades : – la connaissance de l’exil parmi un monde naturel, social et personnel, dont l’indifférence ou l’hostilité indique l’étrangeté ; – la découverte par suite, dans le retrait de tout dehors, d’une patrie ; – celle enfin d’une harmonie accordant ensemble les deux terrains opposés et définissant la dimension de l’homme, ici nommée « grandeur ».
 
* critique à paraître bientôt sur cette page

Loi juive, loi civile, loi naturelle

Pascal Bacque et Jean-Claude Milner


Grasset - à paraître le 22 janvier 2014

Ce livre est un échange de lettres. Au point de départ, un article publié par Pascal Bacqué, alors que la question du mariage pour tous occupait les esprits. Jean-Claude Milner exprima son désaccord ; Pascal Bacqué répondit. Ainsi se noue un dialogue, fondé sur le principe suivant : il ne s'agit pas de chercher le consensus ; il ne s'agit pas non plus de polémiquer. Chacun choisit d'assumer sa position dans sa version la plus radicale : celle de l'étude talmudique, pour Pascal Bacqué, et celle de l'athéisme réfléchi, pour Jean-Claude Milner. 
La radicalité de chacun joue le rôle d'un révélateur pour l'autre. Ainsi peut-on mettre au jour les enjeux à venir d'un événement législatif, aujourd'hui acquis. Changement de civilisation ou pas ? Simple changement de décor ou déchirure profonde ? En tout cas, la question de la loi est posée : entre loi juive, loi de nature et loi civile, quel est le rapport ? Peuvent-elles se contredire ? Si elles le peuvent, le doivent-elles ? Y a-t-il quelque chose à gagner à les réconcilier ? Ne vaut-il pas mieux au contraire qu'elles soient hétérogènes ? Fallait-il encore accepter que le texte talmudique puisse prendre sa part dans cette réflexion ? De même qu'il fallait accepter d'examiner, sans crainte, l'avenir d'un monde où la science et la technique peuvent, matériellement, tout. 
Pour que deux interlocuteurs se parlent, il faut que la langue de chacun fasse écho à celle de l'autre. Il n'est ni nécessaire ni souhaitable qu'ils disent la même chose.

mercredi 8 janvier 2014

SIMONE WEIL : Œuvres complètes, tome V, volume 2 : Écrits de New York et de Londres (1943)

Édition de Robert Chenavier et Patrice Rolland. Avec la collaboration de Marie-Noëlle Chenavier-Jullien


Gallimard - Hors série Connaissance - Décembre 2013

« L'Enracinement est certainement un écrit politique en raison du contexte dans et pour lequel il a été rédigé en 1943, à Londres, dans le cadre des services de la France libre. Il propose des réponses aux questions soulevées par la conduite de la résistance, de la guerre et de la future reconstruction politique de la France. À ce seul titre, toutefois, l'essai n'aurait qu'une signification historique. Or, loin que L'Enracinement ne soit plus qu'un écrit politique daté, il participe encore d'une interrogation contemporaine sur les sociétés démocratiques. Le platonisme de Simone Weil et la volonté de placer une "imprégnation spirituelle" authentique au cœur de la société questionnent la démocratie : comment lui rendre le souci des "besoins de l'âme" sans la détruire? Comment fonder la vie sociale sur quelque chose de plus absolu, de plus inconditionnel que le droit? Ce quelque chose, c'est l'"obligation", celle de satisfaire tous les "besoins de l'âme" sur le modèle dont on satisfait les besoins vitaux du corps. 

Simone Weil reprend de façon critique le travail de réflexion qui a dominé les préoccupations des hommes de 1789. Ils ont mis le droit au principe de la Révolution, croyant être en mesure de poser en même temps des principes absolus. Démarche conceptuellement contradictoire qui est "pour beaucoup dans la confusion politique et sociale actuelle" selon Simone Weil. Il faudrait, par conséquent, poser les principes d'institutions nouvelles qui se situeraient au-dessus – sans prendre leur place – de celles qui protègent les valeurs traditionnelles de la République, le droit, les personnes et les libertés. 
Qui dira encore que L'Enracinement est une œuvre "réactionnaire" ou "antimoderne"?» 
Robert Chenavier.




Péguy point final

Benoît Chantre


Editions du Félin - Coll. Les marches du temps - Janvier 2014

1914, commencement de la guerre, mort de Charles Péguy, le 5 septembre, au début de la bataille de la Marne. Mais l’histoire continue, et tente de le reprendre. De Gaulle voulut le « panthéoniser ». Péguy reste enterré près de Meaux au côté de ses hommes. Reste à l’arracher à sa légende, à déboutonner l’uniforme pour faire apparaître l’énergie d’une langue et l’acuité d’une pensée. Point final aux contresens qui ont entouré l’homme et l’œuvre. 
Point final, mais aussi point de fuite : Péguy échappe à l’histoire. Son œuvre ne s’y inscrit qu’en la dépassant. La mort héroïque n’est pas évacuée, mais n’est pas non plus une fin en soi. Elle est l’horizon différé de son écriture, l’événement répété dans des proses souvent posthumes, où Péguy pense l’histoire et défait l’héroïsme napoléonien. On découvre comment il voulut se sauver de et dans l’histoire. Pas de fin, donc : ouverture, où tout reprend. 
Point d’origine, alors : Péguy prit les histoires à rebours pour atteindre le moment où l’éternel soudain s’incarne dans le temporel. Ainsi l’affaire 
Dreyfus n’est pas ce qu’en ont fait les politiques : remonter à son commencement, c’est entendre la révolution morale dont elle était porteuse. De même pour l’histoire de France, du peuple juif ou du christianisme. Revenir en amont de toutes les fondations, c’est relancer les possibles, ici et maintenant. 

Benoît Chantre est docteur ès lettres et éditeur. Président de l’Association Recherches Mimétiques, il est fellow de la Fondation Imitatio (San Francisco) et membre associé du Centre international d’études de la philosophie française contemporaine (CIEPFC-ENS Rue d’Ulm). Auteur de plusieurs livres d’entretiens (Achever Clausewitz avec René Girard, Le Choix de Pascal avec Jacques Julliard, La Divine Comédie avec Philippe Sollers), il a publié des articles sur Bergson, René Girard, Levinas, Péguy ou Simone Weil.