Automne 2010
Ce numéro s'ouvre par un document exceptionnel, ici édité pour la première fois de manière complète, dans une présentation où Hourya Benis Sinaceur en explicite le contexte, les figures et les enjeux : les lettres adressées de juin 1930 à septembre 1931 par Jean Cavaillès à Étienne Borne. De Cavaillès, on connaît l'ultime écrit intitulé post mortem. Sur la logique et la théorie de la science, où il se livre notamment à une critique approfondie des philosophies kantienne et husserlienne des mathématiques, et les ouvrages ardus que sont Méthode axiomatique et formalisme et le recueil Philosophie mathématique, que leur technicité réserve à des lecteurs rompus aux abstractions mathématiques ; on connaît aussi sa stature intimidante de héros de la Résistance, documentée dans l'ouvrage collectif Jean Cavaillès résistant ou la Pensée en actes. Entre les deux, le spinozisme revendiqué par le penseur a tissé un lien apparemment évident : dans les actes doit régner la même nécessité que dans la pensée mathématique, où toute situation conceptuelle implique ses problèmes spécifiques et trace, pour l'élucidation rétrospective, la voie de leur résolution. Ce groupe de lettres offre un autre visage de Cavaillès, occulté par son image de philosophe anti-subjectiviste et son idée programmatique de philosophie du concept : sa dimension existentielle et charnelle, ses interrogations, doutes et quêtes, mais aussi l'inscription de sa pensée dans un champ problématique multiple – celui de la sensibilité, du corps, de l'histoire vécue et pensée, de l'éthique et de la spiritualité religieuse.
Dans « Corrélation et immanence chez Bergson et Husserl », Paolo Godani confronte les méthodes respectives de Bergson et Husserl en analysant quelques questions fondamentales – notamment la temporalité et la synthèse passive du sensible. L'objet de l'article est de montrer que ce qui sépare Bergson de Husserl ne tient pas au fait que le premier nierait l'a priori universel de corrélation que thématise le second, car Bergson semble au contraire vouloir en élargir la fonction de manière hyperbolique ; mais que là où Husserl maintient cet a priori dans les limites de la subjectivité transcendantale, Bergson tente de l'étendre à une multiplicité de niveaux transcendantaux, qui correspondent à la multiplicité intensive qu'est l'être lui-même.
Penser à soi, est-ce penser à quelqu'un qui se trouve être soi-même, à savoir le sujet qui pense ainsi ? Cette manière de poser la question a été l’oeuvre d’un court article fondateur rédigé en 1957 par Peter Thomas Geach, « Sur les croyances à propos de soi ». Analysant le discours indirect qui rapporte les pensées ou propos d’une personne à son propre sujet – du type « Philippe pense que lui-même est P » –, l'auteur montre que le pronom réfléchi « lui-même » n’a pas le rôle qu'on lui assigne traditionnellement, à savoir celui d'un substitut de nom propre – lequel constitue le paradigme de l’expression référentielle. Ce pronom réfléchi étant l’équivalent in oratione obliqua du « je » in oratione recta, la réflexion de Geach invitait ainsi à une réflexion approfondie sur la nature de la subjectivité. S'attaquant à cette même question dans « Penser à soi », Bruno Gnassounou tente de réfuter les arguments généralement avancés à l'appui de la thèse courante selon laquelle, dans les pensées en première personne, le pronom « je » seraitréférentiel au même titre qu'un nom propre.
D. P.
Sommaire
JEAN CAVAILLÈS
Lettres à Etienne Borne (1930-1931)
Présenté par Hourya Benis-Sinaceur
PAOLO GODANI
Corrélation et immanence chez Bergson et Husserl
PETER THOMAS GEACH
Sur les croyances à propos de soi
Traduit par Bruno Gnassounou
BRUNO GNASSOUNOU
Penser à soi
Note de lecture
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