Pierre Macherey
Avril 2011 – De l’incidence Editeur – 24 €
Pourquoi s’intéresser aujourd’hui aux discours des utopistes ? Peut-être parce que, ce dont nous manquons le plus, c’est précisément d’utopie, sans même avoir conscience de ce manque. Plus fondamentalement, l’utopie ne correspond-elle pas au sentiment diffus que quelque chose ne va pas dans la société, à quoi il faudrait de toute urgence remédier, ce qui fait d’elle l’expression d’un manque ?
Comment se tracer un chemin dans le massif touffu, irrégulier, de la tradition utopique, dont les contours sont incertains, comme inachevés ? En faisant fond sur ce qui fait principalement son prix : la mise en valeur, portée par son mode d’exposition narratif, des détails, les mille petits riens sur lesquels repose la vie sociale, ses « minuties » comme les appelle Fourier, le grand poète de l’utopie. La réflexion utopique fixe son attention, non sur des systèmes politiques fournis clés en main, avec leur rigide armature institutionnelle, mais sur les particularités, souvent incongrues, qui constituent concrètement le soubassement de l’existence communautaire, qu’elle prend à ras de terre en portant sur elle une vue rasante. C’est ce qui la distingue des grandes spéculations de la philosophie politique, qui, préoccupée par des problèmes centraux comme celui du pouvoir, ne s’abaisse pas à prendre en compte ce type de considérations, dont l’importance est, cependant, cruciale.
En relisant More, Bacon et Campanella, représentants exemplaires de ce qu’on peut appeler l’utopie classique, et Fourier, qui a développé un nouveau type d’utopie sociale propre à la modernité, on se donne quelques chances de s’orienter dans le dédale de la pensée utopique, une pensée qui demeure pour nous, y compris dans ses formes les plus anciennes, d’une brûlante actualité. P. M.
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