Sociologue des miettes de la vie quotidienne, Erving Goffman (1922-1982) n’a cessé de s’intéresser aux interactions en face-à-face et aux relations en public. Ses analyses de l’infiniment petit qui compose la trame de nos rencontres ordinaires apparaissent profondément déconcertantes : sans exclure une portée politique et critique, elles négligent les structures macrosociales, dépsychologisent l’expérience en la saisissant à partir de l’organisation des situations et envisagent l’espace public moins comme lieu de l’opinion collective que comme scène physique.
Mettre en évidence les conditions d’émergence de la pensée de Goffman permet de comprendre son originalité et d’explorer une articulation méconnue entre la philosophie et la sociologie. En effet, l’interactionnisme naît de la recomposition et de l’infléchissement de plusieurs discours se déployant depuis le Traité de la nature humaine de David Hume et son examen de la « sympathie ». Ce concept circule dans différents énoncés qui assurent son basculement du champ de la philosophie vers celui des sciences humaines : la psychologie expérimentale et la sociologie françaises de la fin du XIXe siècle, le pragmatisme américain ainsi que les analyses urbaines de l’école de Chicago. Un retour à Hume invite à prendre la mesure de la force des Lumières écossaises et souligne leur fécondité conceptuelle et épistémologique.
Céline Bonicco-Donato, ancienne élève de l’École Normale Supérieure, agrégée et docteur en philosophie, est maître-assistante en sciences humaines et sociales à l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Grenoble.
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