Classiques Garnier - Août 2024
" Dans les sociétés occidentales modernes, l’enfant occupe une place à la fois centrale et périphérique. En littérature, on écrit sur les enfants, on écrit pour les enfants, mais on donne rarement la parole aux enfants. Les textes écrits par les enfants publiés existent, mais sont extrêmement rares. En ce sens, les enfants, plus qu’aucun autre groupe, sont voués au silence et ce bien qu’ils soient depuis la modernité au centre des préoccupations des sociétés occidentales. Dès lors, l’enfance apparaît comme une catégorie de la vie humaine qui est socialement construite, soumise aux discours historiques et modelée par les préférences esthétiques des époques. Les recherches en sciences humaines ont cependant nuancé les thèses radicales de Philippe Ariès qui a postulé, dans les années 1960, la naissance d’un sentiment d’enfance au seuil des temps modernes. Des travaux interdisciplinaires récents ont montré que « l’enfance » a toujours été prise en compte comme une catégorie distincte de la vie humaine et que « l’enfant » n’est pas considéré comme un simple « adulte en miniature ». Ce sont en revanches les paradigmes de l’enfance qui évoluent et diffèrent considérablement selon les cultures et les époques. Alors que certaines caractéristiques attribuées à l’enfance s’avèrent étonnamment stables, comme le rapprochement avec la vieillesse, que l’on observe déjà pour le vocabulaire de l’Égypte antique, d’autres sont soumises aux changements d’épistémès. L’innocence des enfants par exemple, aujourd’hui le noyau d’une conception essentialiste et positive de l’enfance, est associée à la naïveté et à la stupidité aux siècles classiques.
En deçà de l’enfance comme catégorie psycho-sociale, les autrices et les auteurs explorent régulièrement le rapport à leur propre enfance. Dans ces textes se dessine souvent un paradoxe : alors que l’enfance est considérée comme déterminant pour la vie de l’adulte, elle paraît, regardée depuis l’âge adulte, profondément énigmatique. Plusieurs théoriciens ont défini l’enfance comme une blackbox, à la fois éphémère et inaccessible. La nostalgie qu’elle évoque est à l’origine d’une fascination d’autant plus grande. Cette nostalgie de l’enfance résonne avec d’autres états de pureté, tels que le royaume de Dieu, le mythe du bon sauvage ou l’état de nature. Pourtant, l’enfance, considérée comme âge immature et sans importance publique, est longtemps négligé dans les récits de vie. En Europe, c’est à partir du XVIIe siècle qu’elle s’octroie progressivement une place plus importante dans l’écriture de soi, que ce soit dans les correspondances, les mémoires ou les hagiographies, jusqu’à donner lieu à la création d’un genre à part entière. Cette évolution illustre le changement de l’imaginaire collectif de l’enfance qui se prête au-delà comme séismographe des changements socio-culturels entre l’époque classique et la (post-)modernité." — Sophia Mehrbrey, Université de Heidelberg
Contributeurs: Luc-Olivier d' Algange, Stephane Barsacq, Francoise Bombard, Sebastien Bost, Razvan Enache, Sylvie Fabre G., Fabrice Farre, Fidji Fournier, Amelie Goutaudier, Saber Idoudi, Aline Lebel, Pierre Maube, Sophia Mehrbrey, Marie-Reine Mouton, Caroline Narracci, Lethicia Obono Ngou-Milama, Michel Orcel, Edith Perry, Minh Hoang Pham, Alberto Russo Previtali, Jean Marc Sourdillon, Mihaela-Gentiana Stanisor, Marie Vergnol et Ciprian Valcan.
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