Il s’était rasé de près, avait dissimulé son crâne chauve sous une perruque, pris un tram et, en cette nuit du 24 au 25 octobre 1917, s’était rendu au Palais d’Hiver pour s’emparer du pouvoir. Lénine avait compris qu’il fallait saisir l’occasion favorable qui ne se représenterait pas. Cinq années plus tard presque jour pour jour, dans la soirée du 29 octobre 1922, Benito Mussolini, chauve et mal rasé, vêtu d’une chemise noire, monta dans un train, acclamé par la foule, pour se rendre à Rome et y prendre le pouvoir. Lui aussi avait pressenti qu’il fallait profiter du moment propice. Au terme d’une insurrection de deux jours qu’il avait lui-même baptisée «marche sur Rome», l’Italie n’eut pas seulement un gouvernement, mais une dictature. Si les historiens conviennent qu’il y eut non une révolution bolchevique, mais un coup d’État, il n’en va pas de même pour la marche sur Rome. Comment se peut-il, pour reprendre des expressions de contemporains de l’événement, qu’«un opéra-bouffe», «une kermesse maladroite», «un rassemblement sans importance d’idiots utiles» ait donné naissance à l’un des régimes les plus tragiquement antidémocratiques et impérialistes du XXe siècle ? Prenant pour fil conducteur du récit la confrontation entre l’homme d’action et l’occasion à saisir, c’est-à-dire le moment où la décision humaine intervient sur les circonstances pour fixer la voie à suivre, sans aucune garantie de succès, Emilio Gentile, dans une étude radicalement nouvelle, montre à l’œuvre un parti organisé comme une milice qui conquiert le gouvernement d’une démocratie parlementaire paralysée par ses renoncements. Le but de la conquête est affiché depuis le commencement : détruire l’État libéral et la démocratie, grâce à l’indifférence et à la passivité de la majorité de la population. La dictature fasciste débuta dès la marche sur Rome, puisqu’elle était l’inexorable conséquence de la nature même du parti.
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