lundi 26 novembre 2018

Lignes n°57 : Puritanismes | Le Néo-féminisme et la domination

Lignes - Octobre 2018


Contributeurs: Véronique Bergen, Cécile Debray-Amar, Mathilde Girard, Pierre-Damien Huyghe, René Major, Chantal Tallagrand, Boyan Manchev, Serge Margel, Catherine Millet, Bernard Noël, Gérard Pommier, Christian Prigent, Jacob Rogozinski, Michel Surya, Alphonse Clarou

Repuritanisation des mœurs, des arts et de la pensée ? C’est ce qu’il risque de résulter – et résulte déjà – de la campagne (mondiale) de dénonciation des violences sexuelles, forme aggravée de la domination masculine. Dont il résulte aussi qu’il semble n’y avoir plus de domination qu’elle.
Il ne s’agit d’aucune façon d’euphémiser tout ce qui relève du harcèlement, de l’agression, du viol, soit de « la violence faite aux femmes », mais de mesurer ce qu’il risque d’en résulter et en résulte déjà. À cela près qu’on peut y lire aussi l’effet adjacent d’une violente et envahissante repuritanisation des mœurs et de la pensée et de l’art.
De l’art et de la pensée (symptômes superficiels en somme, et pas tous nouveaux) : La Liberté guidant le peuple de Delacroix censuré par Facebook (parce que la liberté y a les seins nus) ; Balthus (Thérèse rêvant, au Met de New York dont une pétition a demandé que le tableau soit décroché en raison de son caractère prétendument pédophile) ; Schiele (Londres, Cologne et Hambourg refusant une campagne d’affichage pour une rétrospective commémorant le centenaire de sa mort) ; etc. Les livres bientôt ?
« Repuritanisation », donc, selon toute apparence. Parce que c’est masquer que toutes les sociétés aujourd’hui, capitalistes ou non, sont essentiellement puritaines déjà. C’est l’évidence s’agissant des sociétés à vocation religieuse, a fortiori fondamentaliste. Mais le fondamentalisme capitaliste est puritain aussi, en son essence, en l’essence de sa marchandise. La chose est donc plus complexe, et ce puritanisme-là, qu’on dira « nouveau » pour le différencier des traditionnels, soutient (ou se soutient d’) autre chose.
L’une des opérations idéologiques les plus remarquables de la domination aura été d’avoir convaincu de la disparition des classes, et, par le fait, de la fin de leur conflictualité. Disparition dont il devait résulter – les identités « politiques », ayant disparu – que les identités « naturelles » allaient pouvoir réapparaître : des origines, des « races », des religions, des nations, des régions même, etc. Finie la guerre des classes, vive la guerre des identités ! Et, avec elles, providentiellement (pour la domination du moins) : la guerre des sexes (ou des « genres ») !
« Balance ton porc ». Chacun son porc ou tout homme un porc. « Balance » avec toutes les œuvres et toutes les pensées qui mettent en scène la supposée porcinité de l’art (des hommes).
L’agression ne constituerait plus l’exception du rapport, de tout rapport, mais la règle. Règle suivant laquelle c’est tout rapport qui devrait dorénavant être jugé. Omettant en passant que le marché étend l’exploitation, qui n’agresse pas moins, les femmes elles-mêmes (les enfants aussi, mais encore les bêtes, la nature, etc.). Alors, soupçon contre soupçon : la courte-vue de ce néo-féminisme n’écarte-t-il pas de lui, de fait, que c’est la domination elle-même qui serait à « balancer ». La question peut se poser en effet d’un néo-féminisme délibérément apolitique qui ne remet aucunement en cause la domination en tant que telle, seulement la domination en tant qu’elle ne serait que masculine. Domination à laquelle les femmes prennent de plus en plus de part, toute la part en tout cas que celle-ci leur consent, pas assez grande selon elles et l’idée – légitime – qu’elles ont de l’égalité, et qu’aucune, ayant atteint aux postes où la domination se décide, n’ait encore manifesté son désir que ce soit la domination elle-même qui change, pas la répartition des places « sexuelles » de ceux et celles qui l’occupent et l’administrent.

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