Le Bord de l'eau - Février 2023
L’œuvre de Maurice Blanchot est entrée dans l’ère du soupçon. Sa trajectoire – de l’engagement nationaliste et des articles antisémites d’avant-guerre à la fascination pour le judaïsme et à la solidarité jamais démentie pour Israël – continue de provoquer l’incompréhension. Blanchot aurait, selon certains critiques, effectué un retournement analogue à celui qui l’a mené de l’extrême droite à l’extrême gauche et au « communisme de pensée » des années d’après-guerre. L’antisémitisme des années trente se serait inversé en philosémitisme – terme aux connotations tendancieuses. Des essais récents ont réactivé le soupçon, allant jusqu’à faire de Blanchot un Heidegger français.
Le présent essai s’inscrit en faux contre de telles interprétations. Dès 1938, Blanchot cesse toute intervention politique dans la presse. Pendant la guerre, alors que se déchaînent les pamphlétaires antisémites, il écrit, certes, de 1941 à 1944, dans le maréchaliste Journal des débats, mais pour y parler exclusivement de littérature, en évoquant Freud, Kafka et Thomas Mann, tous auteurs qui figuraient sur la liste Otto. Entre les lignes, se tisse une critique de l’époque qu’il faut apprendre à déchiffrer, tandis que dans un roman tel que Thomas l’obscur (1941), taxé de « littérature juive » par la presse collaborationniste, s’invente un nouveau rapport à la langue.
La thèse de cet essai est que Blanchot vient à la littérature par la reconnaissance de l’étranger, et que la littérature devient progressivement, pour lui, synonyme de cette altérité fondatrice dont la judaïté constitue le site.
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