Editions de Minuit, 10 €
Ce numéro s’ouvre sur deux textes d’Hilary Putnam traduits par Mireille Duchastelle-Cabanes : « Cerveaux et comportement », paru en 1963, et « Philosophie et notre vie mentale », publié en 1973 – ultérieurement repris comme chapitres 16 et 14 de son ouvrage Mind, Language and Reality –, qui constituent une étape essentielle dans la pensée de l’auteur. Dans le premier, il critique le béhaviorisme logique, qui désirait évacuer toute admission d’événements mentaux doublant les comportements observables ; selon lui, une telle théorie ne saurait constituer une troisième voie entre le matérialisme et le dualisme.
Dans le second, il renvoie dos à dos matérialistes et dualistes, du fait qu’ils partagent le présupposé fallacieux selon lequel si nous sommes des êtres matériels, notre psychisme doit être expliqué par les lois de la physique ; il dégage à cette fin la notion d’isomorphisme fonctionnel, qui lui permet de préserver l’ autonomie explicative des états mentaux. Dans « De l’affirmation à la négation du monde dans la parole érotique », Jean-Louis Chrétien s’attache à cerner le statut du monde dans la parole amoureuse profane, afin de dévoiler une dualité essentielle à l’érôs.
Si l’être aimé y apparaît fréquemment comme le « centre du monde », de sorte que le chant d’amour est par essence un chant du monde, la parole amoureuse peut en revanche adopter une forme eidétiquement distincte : celle où l’être aimé devient un « trou noir » absorbant la totalité des réalités mondaines et conduisant vers le Liebestod et l’adoration du néant. Ainsi se révèle la dualité eidétique intrinsèque de l’érôs qui, s’affranchissant de toute finitude et de tout hédonisme, possède une dimension destructrice, asociale et alégale confinant au nihilisme et à l’acosmisme. Dans « Propensions popperiennes et puissances aristotéliciennes », Isabelle Drouet traite de la philosophie des probabilités, tout entière orientée sur la question de l’interprétation de ces dernières.
Selon Popper, les probabilités mesurent des tendances naturelles à produire les événements possibles, qu'il appelle propensions ; on considère généralement que cette théorie des probabilités se caractérise par sa dimension métaphysique. En confrontant le concept popperien de propension à la notion aristotélicienne de puissance, l’auteur tente d’élucider de manière systématique les implications métaphysiques de la théorie popperienne des probabilités. Dans « Levinas, Henry et la technique », François-David Sebbah se livre à une confrontation des deux phénoménologues sur le thème de la technique et l’évaluation du phénomène technologique dans le monde contemporain.
Il montre ainsi comment, chez Levinas, la technique moderne a pour fonction positive et libératrice d’affranchir la subjectivité humaine de tout enracinement, pour la mettre à l’épreuve de l’infini ou du visage, par-delà le monde : par analogie avec le judaïsme, la technique permettrait l’évasion hors de l’être. Par opposition, M. Henry situe sa critique de la technique dans le prolongement du Husserl de la Krisis : comme la science moderne, elle serait oubli des qualités sensibles, donc de la Vie comme auto-affection pure ; le concept de techno-science désignerait ainsi l’acmé d’une déréalisation négative de la vie absolue.
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