mardi 30 décembre 2014

Jean Baudouin et Bernard Bruneteau (dir.) : Le totalitarisme. Un concept et ses usages

PU de Rennes - 5 décembre 2014 - Collection : Essais


Forgé dans les années 1920, le concept de "totalitarisme" fait partie intégrante de l'histoire du XXe siècle et, à ce titre, ne saurait être exclu de son interprétation. Soumis à un usage social multiforme, au coeur des débats nourrissant anti-fascisme, anti-totalitarisme et anti-communisme, il est un concept "politique" devenant en lui-même un conflit. Destiné parallèlement à un usage savant transdisciplinaire où se côtoient philosophes, politistes, historiens et juristes, il en a hérité des significations parfois différentes. En raison de ces usages croisés et superposés, le concept a été jugé polémique (il l'obligerait à penser dans le cadre de la démocratie libérale), impuissant (à rendre compte de la réalité complexe et évolutive des régimes considérés comme "totalitaires"), voire banalisant (en estompant notamment la singularité du génocide perpétré par te nazisme). Les moments furent donc nombreux où il fut en passe d'être effacé de la critique publique et du lexique des sciences sociales. "Concept-symbole" de certaines conjonctures (guerre froide, intégration européenne, "fin de l'histoire" libérale...), son utilisation serait problématique dans te champ académique. Comment expliquer alors sa capacité de résistance au-delà des circonstances qui l'auraient fait prospérer ? Le fait qu'un concept ait été politiquement instrumentalisé devrait-il conduire à son excommunication scientifique ? Ne doit-on pas plutôt convenir que le concept de totalitarisme, si chargé soit-il, reste opératoire sous certaines conditions d'utilisation ? S'il est peu probable que le terme soit retiré du débat en dépit des plus rudes assauts, il est toujours utile de rappeler sa double nature : une représentation destinée à rendre le réel plus Intelligible ; des formes historiques où le concept compose avec la réalité. Penser le et les totalitarismes. C'est au regard de cette nécessaire double approche qu'un colloque organisé en mars 2012 à l'université Rennes 1 a eu l'ambition de mobiliser des représentants de plusieurs disciplines. L'ouvrage présent qui en est issu rend compte du regard qu'elles posent sur le "totalitarisme" tant en ce qui concerne ses usages, son contenu, ses limites et les enjeux qu'il suscite toujours.

Lucile Desblache (dir.) : Souffrances animales et traditions humaines. Rompre le silence

Editions Universitaires de Dijon - 12 décembre 2014 - "Sociétés"


À l’ère postmoderne des incertitudes économiques et des défis identitaires qui sont ceux du XXIe siècle, penser l’être humain, c’est aussi explorer ou définir les univers non humains qui l’entourent. Toutefois, cette exploration est le plus souvent abstraite, figurative ou illustrative et reflète quasi exclusivement des intérêts humains. Elle instrumentalise ainsi les animaux, relégués à un rôle accessoire ou symbolique au profit d’une analyse concernée par l’humain et sa « différence ». Cet ouvrage se départ de cette tendance pour considérer les responsabilités humaines en regard des souffrances animales. Ce thème est en effet négligé par la pensée contemporaine, qui suit la trace anthropocentrique des priorités humaines d’une part, et par ailleurs rechigne à mener de front réflexion et militantisme. 
À travers une approche interdisciplinaire audacieuse, philosophes, vétérinaires, juristes, artistes, critiques littéraires, sociologues et historiens font ici part de leur désir de bouleverser les traditions humaines qui perpétuent l’oppression des animaux. Ils communiquent le fruit de leur expérience et de leur réflexion tout en exprimant l’urgence de leur engagement. En rompant le silence qui légitimise l’exploitation insensée de tous les êtres non humains, ils examinent certaines des conséquences de ces traditions, mais montrent également comment de nouvelles voies/x peuvent être prises, clamées et entendues afin de rendre possible la connexité de « différents modes d’existence » (Bruno Latour).

Sébastien Ponnou : Lacan et l'éducation. Manifeste pour une clinique lacanienne de l'éducation

L'Harmattan - Décembre 2014 - Psychologiques



La question des liens entre éducation et psychanalyse a largement été débattue dans la littérature universitaire en sciences de l'éducation, la littérature professionnelle du secteur du travail social, et la littérature psychanalytique de langue française. Or, la comparaison entre ces trois champs laisse apparaître qu'il n'existe pas de mise en exergue d'une conception lacanienne de l'éducation. Partant de ce triple constat, Sébastien Ponnou a étudié l'ensemble du corpus lacanien, paru et inédit, afin d'en dégager les occurrences pertinentes sur le thème de l'éducation.

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dimanche 28 décembre 2014

Delia Popa et Benoit Kanabus (dir.) : La Portée pratique de la Phénoménologie. Normativité, Critique Sociale et Psychopathologie

Peter Lang Gmbh, Internationaler Verlag Der W - 28 novembre 2014


Cet ouvrage cible la pratique qui est solidaire de la fondation de la connaissance réalisée par la phénoménologie, en voyant dans cette pratique la condition même de la formulation positive de son projet. Dans cette perspective, la critique sociale et la psychopathologie sont notamment les deux champs pratiques où la phénoménologie se trouve investie, par-delà son premier élan de critique théorique, pour intervenir sur les formes de normativité qui y sont à l'oeuvre. En abordant ces champs à travers les différentes contributions qui le composent, l'ouvrage ambitionne d'analyser la portée pratique de la phénoménologie et de tester sa capacité à générer une attention au pouvoir émancipateur ou aliénant des organisations sociales. L'hypothèse de fond, collectivement partagée, est que la phénoménologie peut apporter une contribution à la construction d'une nouvelle posture critique à même de participer à l'émancipation des individus en situation de souffrance et d'injustice.

Alain Muller : Pensée dialogique, langage et intersubjectivité dans la philosophie de Franz Rosenzweig

Editions L'Harmattan - 28 novembre 2014 - Collection : Ouverture philosophique


L'originalité de cet ouvrage, c'est de tenter d'éclairer le « retour » de Franz Rosenzweig au judaïsme, - et le concept de « révélation » qui s'y rattache -, à partir de l'itinéraire intellectuel et de la philosophie de celui-ci, et en s'appuyant sur les philosophies d'Hermann Cohen et d'Eugen Rosenstock, et cela en plaçant le premier dans le contexte historique de la « symbiose judéo-allemande », le second dans le cadre du dialogue interreligieux entre le christianisme et le judaïsme.

Alain Muller, docteur en philosophie, a fait un mémoire sur Schelling à l'ULg (Liège) avec Jean Crahay, puis, après avoir fait son D.E.A. à l'Université de la Sorbonne Paris IV avec Claude Bruaire, a continué ses recherches sur la philosophie de Franz Rosenzweig avec Jean-François Marquet. Parallèlement, il a traduit une partie de la correspondance entre Rosenzweig et Rosenstock et en a fait l'objet d'une maîtrise d'allemand sur les relations franco-allemandes (avec Hansgerd Schulte à l'Université de la Sorbonne Nouvelle Paris III). Après un séjour de recherches en Allemagne au Centre Théologique de l'Université de Freiburg-im-Breisgau sous l'égide du professeur Bernhard Casper, il a soutenu, en 2006, sa thèse de doctorat sur Franz Rosenzweig à l'E.H.E.S.S sous la direction de Heinz Wismann.

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Véronique Le Ru (dir.) : Pierre Hadot. Apprendre à Lire et à Vivre

Presses Universitaires de Reims - 28 novembre 2014


Alors que cela fait cinq ans que Pierre Hadot a disparu, l'ouvrage Pierre Hadot. Apprendre à lire et à vivre souligne à quel point ce philosophe est toujours présent dans nos manières de vivre et de lire. Après une contextualisation historique de sa vie, de son oeuvre et de sa conversion philosophique, l'ouvrage présente plusieurs manières de lire Pierre Hadot aujourd'hui en s'interrogeant sur son projet philosophique, en se demandant à qui il s'adresse, enfin en proposant, par le biais de ce qu'il en dit, une lecture expérimentale de Damascius et de Wittgenstein. Pierre Hadot est né à Paris le 21 février 1922 et meurt le 24 avril 2010 à Orsay. Le volume Pierre Hadot. Apprendre à lire et à vivre regroupe les textes des conférences qui ont eu lieu le 13 mars 2014 à l'Université de Reims Champagne-Ardenne, lors de la journée scientifique organisée par le Centre Interdisciplinaire de Recherches sur les Langues Et la Pensée (CIRLEP) en collaboration avec l'Association des Amis de Pierre Hadot, en hommage au passeur, au philosophe, au sage.

vendredi 26 décembre 2014

Jean-Yves Lacroix : Platon et l'utopie. L'être et l'existence

Vrin - Décembre 2014 - Collection : Tradition de la pensée classique


Platon, père de l’utopie : la chose semble aller de soi. L’utopie, vaguement comprise comme idéal séduisant mais irréalisable, serait d’essence platonicienne. Cet ouvrage entend revenir sur ce lieu commun en prenant pour référence fondamentale l’Utopiade Thomas More, qui est à l’origine du genre littéraire et en fixe les traits : sont à proprement parler des « utopies » des descriptions détaillées de populations supposées exister actuellement, découvertes au terme d’un voyage, et dont la vie est structurée par des institutions parfaites. Quels « utopismes » peut-on alors trouver dans les Dialogues?
La différence ontologique apparaît immédiatement radicale. Alors que l’entreprise utopique présente par une description imagée une réalité parfaitement intelligible et existant de façon complètement empirique, l’ontologie platonicienne distingue ces trois moments. Et ainsi, ni les formes intelligibles, ni l’immortalité de l’âme, ni le rapport aux dieux ne peuvent être dits « utopiques », et pas davantage l’atopie socratique ou la liberté.
Il se trouve pourtant que l’enjeu est dans les deux cas humain et terrestre : c’est de la vie bonne, heureuse, sur terre et pour les hommes qu’il s’agit. En particulier, l’exigence platonicienne de la participation implique une relation complexe à l’utopie pour ce qu’en termes modernes on qualifie de révolutionnarisme et de réformisme.


Lambert Wiesing : La visibilité de l'image. Histoire et perspectives de l'esthétique formelle

Vrin - Décembre 2014 - Collection : Essais d'art et de philosophie


En quoi une image est-elle image? Aux XIXe et XXe siècles, l’image a connu une expansion majeure, objet de modalités inédites de production et d’usage, que l’on songe à l’invention du collage, du vidéoclip, de l’image numérique ou de la simulation par ordinateur. Lambert Wiesing propose de retracer la généalogie conceptuelle de ce que l’on désigne volontiers comme l’iconic turn de notre époque. Traçant un parcours historique original, il place l’esthétique formelle des XIXe et XXe siècles au centre de son analyse. Il élabore une cartographie inédite qui relie Robert Zimmermann à Alois Riegl, Heinrich Wölfflin et Konrad Fiedler, puis confronte ensuite cette tradition à Maurice Merleau-Ponty et Charles Morris. Convaincu que l’image n’est pas d’emblée un signe, Wiesing réinvestit la catégorie esthétique de la pure visibilité susceptible de rendre compte de la production du visible à même l’image. L’esthétique formelle s’affirme ici comme un lieu théorique essentiel de la théorie actuelle de l’image.


Yvon Lafrance : La Théorie platonicienne de la doxa

Les Belles Lettres - 11 décembre 2014 - Collection : Études anciennes Série grecque


Le terme doxa en grec ancien présente deux sens: celui d'apparence − ce qui m’apparaît objectivement –, et celui d’opinion − ce qui subjectivement me semble être le cas. Dans les dialogues, Platon oppose la doxa, l’opinion, dont les sources sont diverses – culture populaire et enseignement sophistique notamment – au logos, la raison; cette première opposition contient en germe une opposition philosophique, déterminante chez Platon, entre la doxa et la science,episteme, dont l’auteur analyse les différents aspects dans deux dialogues de jeunesse, leMénon et le Gorgias, dans le principal dialogue de la maturité, la République, et dans deux dialogues de la dernière période, le Théétète et le Sophiste. Ces analyses révèlent les deux principales qualités d’Yvon Lafrance comme interprète: probité et bienveillance.
Tenant compte de l’évolution de la pensée de Platon dont il fait apparaître l’arrière-plan littéraire et présocratique, il replace tous les passages étudiés dans leur contexte, et prend en considération l’ensemble de la recherche contemporaine sur le sujet.
Voilà pourquoi ce livre comprend une centaine de pages de plus que l’ouvrage original. Yvon Lafrance cite et commente les principales études (en cinq langues au moins) parues sur le sujet entre 1975 et 2003; et, dans une postface, il prend position sur les nouvelles tendances de l’interprétation
des dialogues. Pour sa part, Luc Brisson complète ce travail en proposant un supplément bibliographique allant de 2003 à 2013, et une postface qui précise la démarche interprétative adoptée par Yvon Lafrance. Cette nouvelle édition peut donc être considérée comme une contribution originale.

Postface de Luc Brisson
Professeur d’Histoire de la philosophie à l’Université d’Ottawa (Ontario, Canada) de 1971 à 1996, Yvon Lafrance a publié un grand nombre d’articles et quelques livres marquants:Méthode et exégèse en histoire de la philosophie (1983), Pour interpréter Platon: la Ligne enRépublique VI 509d-511e
(1987, 2 vol.), et avec Léonce Paquet et Michel Roussel, Les présocratiques: bibliographie analytique 1450-1980 (1988-1995, 3 vol.). Ces titres illustrent l’intérêt qu’il portait aux questions de l’exégèse et de la bibliographie.



vendredi 19 décembre 2014

Olivier Boulnois : Lire le Principe d’individuation de Duns Scot

Vrin - Décembre 2014 - Etudes & commentaires


Pourquoi chaque être est-il un être, distinct de tout autre, et indivisible sans destruction? En quoi le singulier est-il ultime, irréductible? Est-ce un fait brut, sans raison? Et pouvons-nous dépasser laproclamation que l’individu est ineffable et indéfinissable?
Pour résoudre ce problème, Scot recherche un principe métaphysique par lequel les substances deviennent individuelles. La matière est-elle ce principe? Suffit-il d’exister pour être individuel? Peut-on concevoir, par-delà l’essence indifférente, une nouvelle différence, qu’il appellera bientôt haeccéité? – Telles sont les questions difficiles qu’il affronte dans son Principe d’individuation (Ordinatio II, d.3).
Dans ce traité, Duns Scot élabore une nouvelle métaphysique du singulier. Celle-ci va de pair avec sa réévaluation de la contingence, son invention de la connaissance intuitive, et sa prise en compte de la finitude. Elle exercera son influence jusqu’à Leibniz.

Laurent Perreau (dir.) : Le Phénomène

Vrin - Décembre 2014 - Thema



Ont collaboré à ce volume : D. Bellis, B. Bondu, V. Bontems, F. Calori, A. Macé, L. Perreau, L. Peterschmitt, O. Tinland

Ce volume est consacré au concept de phénomène. Les études rassemblées se proposent de contribuer à son intelligence en revenant sur quelques-uns des moments les plus marquants de son histoire, sans prétendre à l’exhaustivité. L’ouvrage s’ouvre par deux études de philosophie antique. Arnaud Macé restitue tout d’abord la problématique séminale du phénomène, telle qu’elle s’élabore chez les présocratiques (Homère, Anaxagore, Parménide) et chez Platon. Baptiste Bondu étudie ensuite la question du phénomène dans l’école stoïcienne. Suivent deux contributions qui expose, pour l’une, la philosophie cartésienne des phénomènes (Delphine Bellis) et examine, pour l’autre, les principes et les difficultés du phénoménisme de Berkeley (Luc Peterschmitt). Deux articles attestent du renouvellement de l’approche philosophique des phénomènes dans l’idéalisme allemand. François Calori rappelle le rôle décisif joué par le criticisme et explicite la définition kantienne du phénomène comme « objet indéterminé d’une intuition empirique ». Comme le souligne Olivier Tinland, Hegel compose avec le legs de la philosophie kantienne tout en déplaçant le site même de la réflexion conduite sur les phénomènes, puisqu’il réfère désormais l’apparaître à une « idéalité objective ». Concernant la période contemporaine, Laurent Perreau examine la redéfinition du concept de phénomène opérée par la phénoménologie husserlienne. Enfin, la contribution de Vincent Bontems est consacrée à la philosophie de G. Bachelard : informée des développements historiques de la science physique, cette dernière voit dans le phénomène le produit d’une construction à la fois théorique et expérimentale.

lundi 15 décembre 2014

Savoirs et clinique, N° 17/2014 : Transferts cinéphiles. Le cinéma latino-américain et la psychanalyse

Erès - Décembre 2014 - "Savoirs cliniques"


Extrait

L'Impossible crime

«Ne pas arriver à...» : le cas particulier de Él dans l'oeuvre de Buñuel

Alain Bergala, essayiste de cinéma, réalisateur, enseignant à la femis, commissaire d'expositions.

« Ne pas arriver à...» est une des plus grandes constantes dans les films de Buñuel : à faire l'amour (Un chien andalou, L'âge d'or, Él, Viridiana, Cet obscur objet du désir), à dîner (Le charme discret de la bourgeoisie), à commettre un meurtre (Archibald de la Cruz), à sortir d'une pièce (L'ange exterminateur), etc. Souvent - presque toujours - c'est le personnage lui-même qui crée les obstacles empêchant la réalisation de son désir. Buñuel expliquait volontiers que, pour lui (dont une tradition critique postsurréaliste a voulu faire de façon absurde le chantre de la pulsion débridée et sans entraves), maintenir le désir était plus important que de l'exténuer dans le passage à l'acte.
Un film fait exception à cette règle, celui dont il a conscience, au moment où il le réalise, que ce sera son dernier : Cet obscur objet du désir, où le mot «désir» figure dans le titre même comme une épitaphe de son oeuvre. Il y revient une dernière fois sur le sujet qui l'aura hanté toute sa vie : la puissance du désir et son empêchement ou son empêtrement dans une sorte de ralenti poisseux au moment d'atteindre son objet, comme dans Le chien andalou. Buñuel est sans aucun doute le cinéaste qui a le mieux filmé la fulgurance du surgissement du désir, dont il a fait un élément essentiel de sa poétique cinématographique. Le mode irruptif et inscénarisable de ce surgissement l'exonère de l'exigence de continuité et de causalité de la logique narrative, l'autorisant à des apparitions fulgurantes d'images déconnectées, d'une puissance poétique sans équivalent.
Mais pour la première fois dans ce dernier film - en apparence tout au moins -, l'empêchement d'accomplir l'acte sexuel n'est pas le fait psychique de l'homme lui-même : c'est la femme qui se refuse objectivement à cet homme, tout en lui laissant croire à chaque fois qu'elle va céder enfin à sa demande sexuelle, le rendant littéralement fou de désir. Mais Buñuel laisse planer un doute : et si ce que nous voyons dans le film n'était qu'une réinterprétation a posteriori, par l'homme qui raconte, de ce qui s'est réellement passé entre lui et cette femme ? Él, film mexicain du cinéaste (il est arrivé au Mexique en 1946, six ans plus tôt), est le seul de son oeuvre à présenter cette particularité que le désir de l'homme y est entravé par l'image de la Vierge dont il est tombé amoureux «au premier regard», comme disent les Américains pour parler du coup de foudre, et ceci dans la première scène du film.
Francisco est un grand bourgeois célibataire, un notable, ami des prêtres. C'est aussi un grand propriétaire terrien, qui est cependant en train de se faire exproprier de ses terres ancestrales par la réforme agraire. Il perdra tous ses biens en s'entêtant dans un procès perdu d'avance, mais auquel son orgueil et sa mentalité féodale l'empêchent de renoncer, au nom de ses droits, à ses yeux imprescriptibles, comme le personnage du père dans Au hasard Balthazar de Robert Bresson, autre grand cinéaste de la paranoïa.
Dans Mon dernier soupir, Buñuel raconte que Él avait été mal reçu à Cannes, où Cocteau avait déclaré qu'avec ce film, il s'était «suicidé». Mais, dit-il avec une évidente satisfaction de revanche, «Lacan vit le film à Paris, au cours d'une projection organisée pour cinquante et un psychiatres, à la Cinémathèque. Il me parla longuement du film, où il reconnaissait l'accent de la vérité, et le présenta à ses élèves à plusieurs reprises.» Buñuel avait lu Freud et Sade lors de ses années de formation, à une époque où c'était encore exceptionnel, et la personnalité et l'aura de Lacan ne lui étaient pas inconnues.

Présentation de l'éditeur

Le cinéma latino-américain est, comme on sait, depuis dix ans (et plus), en pleine effervescence. Cinéma de crise, né dans l'urgence et la pauvreté, il continue de stupéfier le monde par sa vitalité créatrice et son invention visuelle. Sa grande originalité, qui le rend si aigu, est de ne jamais dissocier la crise et le symptôme : la rue et le divan, la psychanalyse et la politique, la patience du concept et la violence du monde.
À partir de 1955 et jusqu'à aujourd'hui, la psychanalyse s'est largement imposée dans les classes moyennes avides d'apports culturels extérieurs. Comment le cinéma latino-américain a été influencé par cet essor unique de la psychanalyse. Que nous enseigne donc ce cinéma qui a refusé de faire silence sur les dictatures contre lesquelles il n'a cessé de lutter ? Que nous apporte-t-il sur l'histoire contemporaine, notamment en Europe et sur ce que Freud appelait le «surmoi culturel» ?

Coordination : Franz KALTENBECK

Ont participé à ce numéro : Roberto ACEITUNO - Julie AMIOT-GUILLOUET - Isabelle BALDET - Alain BERGALA - Nancy BERTHIER - Lucile CHARLIAC - Alberto DA SILVA - Ignacio DEL VALLE - Monique DEWOLF - Teresa Cristina DUARTE-SIMOES - Emmanuel FLEURY - Daisuke FUKUDA - Patricia GHEROVICI - Marcela IACUB - Hervé JOUBERT-LAURENCIN - Diana KAMIENNY-BOCZKOWSKI - Sadi LAKHDARI - Joaquin MANZI - Paula MARKOVITCH - Luiz Renato MARTINS - Sylvain MASSCHELIER - Régis MICHEL - Geneviève MOREL - Paula ORTIZ - Esteban RADISZCZ - Josefina SARTORA - Monique VANNEUFVILLE - Antoine VERSTRAET - Fréderic YVAN -
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Natalie Depraz : Première, deuxième, troisième personne

Zeta Books - 7 décembre 2014



Ce qui apparaît dans ce volume, ce n’est pas seulement la personne comme sujet éthique voire religieux, mais les personnes en relation, dans le contexte d’une interrogation portant sur les leurs modes multiformes d’interaction à la croisée de leur signification épistémique, grammaticale, ontologie et théologiques. Ces quatre termes sont là pour désigner l’espace d’une réflexion croisée autour du sens relationnel des personnes. Qu’est-ce qu’une « première personne »? Est-ce seulement un Je, un moi ? Est-ce une entité grammaticale ou ontologique ? Qu’est-ce qu’une méthode en première personne ? Qu’en est-il de la singularité du vécu en jeu, de son irréductibilité ? Quels en sont les critères ?

vendredi 12 décembre 2014

Pierre Wagner : Logique et Philosophie. Manuel d'Introduction pour les Étudiants du Supérieur

Ellipses Marketing - 9 décembre 2014


La logique contemporaine développe des méthodes d'analyse applicables à un vaste champ de questions philosophiques. Celles-ci touchent par exemple à la vérité, la signification, la référence, le possible et le nécessaire, la temporalité, les preuves de l'existence de Dieu, aussi bien que la validité des inférences, l'axiomatique ou la formalisation des théories. Ce manuel d'introduction a pour ambition d'offrir aux étudiants et à tout lecteur philosophe une culture ainsi qu'une formation de base en logique. L'objectif est de donner accès à cette vaste partie de la littérature philosophique contemporaine qui suppose connus les concepts et les méthodes fondamentales de la logique formelle.


mardi 9 décembre 2014

Dragos Duicu : Phénoménologie du mouvement. Patocka et l'héritage de la physique aristotélicienne

Editions Hermann - Novembre 2014 - Collection : Philosophie


Le projet phénoménologique de Jan Patočka peut être lu comme une tentative de récupérer ce qui, de la Physique d’Aristote (que Heidegger appellait le « livre caché de la philosophie occidentale »), a été oublié par l’histoire de la philosophie. Notre ouvrage se concentre sur un des résultats les plus aristotéliciens de Patočka, que l’on pourrait résumer ainsi : le mouvement est phénoménologiquement et ontologiquement premier. 
Mais si le mouvement est premier, cela veut dire que les extases et les déterminations du mouvement ne sont, elles, que secondaires, c’est à dire phénoménologiquement et ontologiquement dérivées. La matière et la forme (du monde), l’acte et le possible, le temps et l’espace, l’hypokeimenon (le corps et le sujet) sont secondaires, car sédimentés, déposés par le mouvement, et ne s’éclairent donc fondamentalement que par leur reconduction au mouvement. C’est une telle reconduction que nous avons tâché d’accomplir à chaque étape de notre analyse.

Daniel Zamora (dir.) : Critiquer Foucault

ADEN BELGIQUE - Novembre 2014


Lorsque Michel Foucault décède en 1984, c'est également le monde de l'après guerre, ses institutions et ses espoirs de transformation sociale, qui s'éteint avec lui. Les décennies qui suivront seront indéniablement celles du triomphe du néolibéralisme et des attaques contre les droits sociaux. Si Michel Foucault n'en a pas été le témoin direct, son oeuvre dans ce domaine apparaît néanmoins visionnaire. La question du libéralisme occupe en effet une place importante dans ses derniers écrits. Depuis sa disparition, l'appareil de pensée foucaldien a, en outre, acquis une place centrale, pour ne pas dire dominante, au sein d'un large pan du monde intellectuel de gauche. Pourtant, comme le démontrent les différentes contributions qui composent cet ouvrage, l'attitude du philosophe face au néolibéralisme fut pour le moins équivoque. Loin de mener une lutte intellectuelle résolue contre la doxa du libre marché, Michel Foucault semble, sur bien des points, y adhérer. Comment en effet interpréter sa critique radicale de la sécurité sociale, qualifiée d'instrument d'accomplissement du « biopouvoir » ? Ou son soutien aux « nouveaux philosophes » ?
Foucault aurait-il été séduit par le néolibéralisme ? Cette question, loin d'incarner simplement les évolutions d'un intellectuel, interroge plus généralement les mutations d une certaine gauche de l'après-mai 68, les désillusions à venir et les transformations profondes du champ intellectuel français au cours des trente dernières années. Comprendre les années 1980 et le triomphe néolibéral, c'est également explorer les recoins les plus ambigus de la gauche intellectuelle à travers une de ses plus importantes figures.



Jean-Philippe Pierron : Mythopées Un portrait de la modernité tardive

Vrin - Matière étrangère - Décembre 2014

Pour l’écologue, la canopée désigne la couverture végétale qui déploie, en ses cimes, autant d’explorations aériennes, de branches qui sont comme des branchies. Quant à elle, la mythopée sera cette épaisseur feuilletée d’images qui fait la vie d’une culture, vivante d’expériences enracinées et de joies aériennes, d’ancrages et d’aspirations.
Ces mythopées sont, leur nom l’indique, un clin d’œil à ce que Roland Barthes avait pu appeler Mythologies. Miniatures philosophiques, concentrés poétiques, elles tentent de rendre ce milieu sensible grâce auquel une subjectivité s’individue, par lequel un collectif prend consistance, insiste et résiste. Qu’on ne se méprenne donc pas. On ne se contente pas ici de déployer un décor pittoresque sur le fond duquel s’agitent les existences. On épèle le cadre d’interprétation grâce auquel nos aspirations se précisent en s’y confrontant. S’y dessine le genre d’homme ou de femme que nous cherchons à promouvoir. Assumant une poétique de l’action, ces mythopées rendent alors la texture d’un monde dont nous sommes issus, moins pour gémir du monde qui va que pour épeler les horizons d’attente d’un monde qui vient. Il y a là un défi en somme : penser, sans système, à la hauteur de notre époque sans être dans le mépris qui ignore et la méprise qui adule.

Collectif : L'immortalité - Un sujet d'avenir

Favre - 2014


Depuis toujours, l'Homme rêve de la vie éternelle, comme en témoignent de nombreux récits, mythes, légendes, croyances et rites anciens, mais aussi beaucoup plus modernes. Aujourd'hui, dans un monde où l'on voudrait être éternellement jeune, l'Homme se tourne volontiers vers la science dans l'espoir de mener à bien sa quête d'immortalité. Les éditeurs du livre ont réuni autour de cette énigme une vingtaine d'auteurs venus de différents horizons. Qu'ils soient professeur de médecine ou de littérature, dessinateur, biologiste, psychiatre, avocat, architecte, mathématicien ou alpiniste, ils proposent, chacun à leur manière, en sortant parfois de leur réalité professionnelle, une réflexion en lien avec ce thème vaste, incertain et intemporel. Bertrand Ludes (professeur de médecine) : Immortalité des corps Bertrand David (dessinateur) et Jean-Jacques Lefrère (professeur de médecine) : Hommes de la préhistoire. Une immortalité réussie Christian Hervé (profeseur de médecine) : Vie et transmission : immortalité ou éternité Patrick Berche (médecin biologiste) : L'immortalité en biologie Hugues Marchal (professeur de littérature) : L'immortalité littéraire Olivier Hermine (professeur de médecine) et Elizabeth Blackburn (biologiste) : De l'immortalité cellulaire à l'immortalité de l'homme Olivier Garraud (professeur de médecine) : Anthropologie de l'immortalité Amaury Tissot (enseignant), Philippe Schneider (médecin hématologue) et Jean-Daniel Tissot (médecin) : Le génome du Christ Michel Pierssens (professeur de littérature) : Spiritisme et immortalité Murielle Louâpre (professeur de littérature) : L'immortalité par l'Histoire Laurent Keller et Elisabeth Gordon (biologistes) : Immortalité des fourmis Jacques Besson (psychiatre) : Psychiatrie et immortalité Vincent Barras (historien de la médecine) : Les médecins et la mort Bruno Pozzetto et Astrid Vabret (professeurs de médecine) : Les virus sont-ils des êtres immortels ? Charles Joye (avocat et professeur de droit) : Le droit des morts à l'immortalité Claude Calame (helléniste et anthropologue) : Cheminements de l'immortalité en Grèce ancienne Maurice Culot (architecte) : Monuments immortels Olivier Salon (mathématicien) : Une modélisation mathématique de l'immortalité Jean Troillet (alpiniste, guide de montagne) et Pierre-Dominique Chardonnens (écrivain) : Vaincre les cimes : entre impression d'immortalité ou d'humanité Pascal Singy (professeur de sociolinguistique) et Isaac Pante (écrivain, diplômé en linguistique) : La puissance des mots : immortalité, infini, fini, mort, éternité Jacques Thévenaz (mathématicien) : Le fini et l'infini Sommes-nous immortels ou le serons-nous un jour ? Entre utopie et réalité, des spécialistes abordent les différentes facettes de l'immortalité.




Marie-Pierre Grosjean (dir.) : La philosophie au coeur de l'éducation: Autour de Matthew Lipman

Vrin - Décembre 2014 - Annales de l’institut de philosophie de l’université de Bruxelles


La communauté de recherche et le dialogue constituent les deux concepts clés de la philosophie de l’éducation de Matthew Lipman. Forgés dans le sillage du pragmatisme de Peirce et de Dewey, ils portent les marques de l’influence de la philosophie de la culture d’Hannah Arendt, de la philosophie du langage de Wittgenstein, de l’herméneutique de Merleau-Ponty sans oublier les racines socratiques et aristotéliciennes. À partir de 2000, la philosophie de Lipman a pris une orientation nouvelle en s’ouvrant à l’holisme de Martha Nussbaum et d’Amartya Sen. Se trouvent ainsi confirmées les intuitions de jeunesse ainsi que l’importance des émotions et de la sollicitude dans la formation du jugement. Dès lors, la philosophie trouve sa place dans l’éducation dès le plus jeune âge en tant que discipline spécifique dont la finalité est de développer la pensée dans ses trois dimensions critique, créative et vigilante. La philosophie renoue ainsi avec la pratique socratique mettant au premier plan sa dimension sociale et éthique.

Ont participé à ce volume : D. Camhy, S. Coppens, M.-F. Daniel, J. Glaser, M. R. Gregory, M.-P. Grosjean, I. Jespers, F. G. Moriyon, M. Santi, A. M. Sharp et L. Splitter