De Torricelli à Pascal, Louis Rougier (édité par Simone Mazauric)
Editions Kimé, novembre 2010
De Torricelli à Pascal existait à l’état de manuscrit, sans doute depuis 1927, dans les papiers de Louis Rougier. Consacré aux premiers travaux menés en Italie puis en France sur la question du « vide » et de la « pesanteur et pression de l’air », il constitue l’unique ouvrage d’histoire des sciences à proprement parler que Rougier ait jamais rédigé. En choisissant de le publier, la revue Philosophia Scientiæ veut non seulement permettre à la communauté des historiens des sciences de prendre connaissance d’un travail majeur, mais elle veut également offrir aux spécialistes de l’œuvre de Rougier l’occasion de découvrir un pan de cette œuvre presque entièrement ignoré : hormis la dernière partie de La Scolastique et le Thomisme, dans laquelle Rougier poursuivait un but assez similaire à celui qui sera le sien dans De Torricelli à Pascal, seul un article du Mercure de France, paru en 1931, et qui a constitué en son temps une réutilisation partielle du De Torricelli à Pascal, fournissait jusqu’ici les moyens de se faire une idée, au surplus assez fausse, de la façon dont Louis Rougier avait pu occasionnellement pratiquer l’histoire des sciences.
L’intention de Rougier est claire : à travers le récit de la naissance de l’hydrostatique, il s’agit d’étudier la façon dont la science moderne s’est libérée des entraves de l’aristotélisme. De Torricelli à Pascal constitue ainsi un prolongement de La Scolastique et le Thomisme (1925), et du combat de Rougier contre ce qu’il tenait pour une « faillite philosophique ». Il offre ainsi l’occasion de revenir sur la façon dont il s’est situé par rapport au mouvement néo-thomiste des premières décennies du XXe siècle.
En même temps, Rougier prend position dans la violente controverse déclenchée en 1906 par Félix Mathieu, qui accusait Pascal de faux et d’usage de faux dans le but de dérober à Descartes et à Auzoult l’idée d’expériences qu’il se serait ainsi indûment appropriées. Or cette controverse ne prend sens que dans la conjoncture à la fois politique, philosophique et idéologique du tournant des XIXe et XXe siècles, très marquée par l’affaire Dreyfus, et par l’affrontement entre républicains laïcs et spiritualistes plus ou moins conservateurs. En choisissant de faire porter l’essentiel de ses attaques sur Léon Brunschvicg, qui avait joué alors un rôle de premier plan dans cette querelle, Rougier règle peut-être et même sans doute des comptes personnels. Mais il marque surtout sa place dans une conjoncture philosophico-idéologique singulière, celle de l’affrontement entre une philosophie d’inspiration spiritualiste, et une philosophie des sciences d’orientation positiviste à la manière du Cercle de Vienne dont Rougier a été en France l’un des rares représentants
Texte très polysémique, De Torricelli à Pascal intéresse ainsi aussi bien les historiens des sciences que les spécialistes de l’œuvre de Rougier, et tout autant les historiens des idées mais aussi les historiens « tout court » des premières décennies du XXe siècle. Ce manuscrit méritait par conséquent amplement d’être enfin édité.
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