samedi 3 décembre 2016

Anne Boisssière : Chanter, Narrer, Danser. Contribution à une philosophie du sentir

Delatour - Novembre 2016


La musique s’éprouve et se vit, et ne se laisse pas seulement analyser et com- prendre. Active, dominatrice, source en même temps d’une passivité unique, elle atteint des couches profondes qui dessinent le mystérieux domaine du pré-verbal, directement en prise sur le vivant du corps. À preuve son aptitude à induire immédiatement du mouvement, dilater l’espace et donner une énergie incomparable, ou encore suspendre le temps. La musique plus que tout autre art instruit sur le « sentir », pour autant qu’on ne la cantonne pas à une autonomie ou à une pureté qui l’ampute du chanter et du danser, lesquels manifestent cette part irréductible.

Le sentir obéit à une autre logique que celle du sens et de la vérité. C’est un être-au-monde que les couplages traditionnels comme ceux de l’émotion et de la raison, ou de l’expression et de la forme, échouent à cerner. Sa complexité, son maillage interne, sa structuration dynamique, plaident en faveur de notions qui trouvent dans ce contexte une teneur philosophique renouvelée, comme celles de rythme et de symbole, également d’un art de narrer.

L’approche phénoménologique, attentive au corps vécu, et l’orientation de la théorie critique soucieuse de toutes les formes de réification, y compris de la perception et de ses gestes, sont conjointement mobilisées pour explorer le sentir à partir de la musique. Erwin Straus d’une part, en son approche du pathique, Walter Benjamin et Theodor W. Adorno d’autre part, sont les principaux acteurs de ce croisement. Celui-ci s’ouvre à d’autres penseurs, dont André Schaeffner et Susanne Langer. Le premier, à propos de l’instrument de musique, la seconde à propos du symbole non-présentationnel, se montrent en effet particulièrement appliqués à ne pas séparer l’expérience de la musique des processus corporels et physiologiques qui sont en jeu dans le rythme et dans l’écoute.

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