L’objet de cet ouvrage est d’explorer ce qui mène du «souci de soi», tel que défini par l’Antiquité grecque, au «corps augmenté», dont le sport de haut niveau propose aujourd’hui une version expérimentale. Ce trajet n’est pas seulement un reflet historique, celui d’une histoire des pratiques corporelles qui inclurait la médecine, les gymnastiques, l’éducation physique et le sport, dans leurs acceptions et finalités variées, et parfois antagonistes, au cours des siècles. Il traduit aussi le noeud problématique qui lie l’exercice physique à la thématique du dépassement : dépassement de soi lorsqu’il s’agit de s’améliorer, de s’entraîner pour «performer» ; dépassement des limites lorsqu’il s’agit de rendre effective la croyance moderne – et sportive – dans l’idée de progrès infini ; dépassement de la nature aussi lorsqu’il s’agit de mettre en question le « corps naturel », tout autant que l’« identité humaine» et ses contours, par l’usage de substances chimiques ou de prothèses.
Si l’évolution humaine se définit comme un arrachement permanent à la nature, la question du dopage et celle des exosquelettes pose celles des limites éthiques de la science, du prolongement du corps par la technique et d’un corps-machine d’un nouveau genre. L’impératif de performance pèse sur chacun et croise l’obsession de la santé parfaite, de la jeunesse et de la beauté éternelles. Cette quête s’empare du corps comme d’un prétexte pour viser une transcendance hypothétique, qui fait défaut par ailleurs. Améliorer, augmenter – la forme, les performances, l’apparence – semble toujours possible, occultant les questions de la souffrance et de la mort, du handicap, reléguant la vieillesse dans l’impensé. La chirurgie esthétique, l’entraînement sportif, la diététique, le(s) dopage(s) n’ont pas le même rapport à la temporalité, mais postulent un corps idéal dont la perfection est toujours différée. L’hypercorps entraîné, remodelé, esthétisé, médicalisé, technicisé du sportif d’élite, avec sa valeur d’objet marchand et fantasmatique, est à ce titre exemplaire.
Isabelle Queval est philosophe, maîtresse de conférences habilitée à diriger des recherches au département des sciences de l’éducation de l’Université de Paris Descartes et membre du Centre de recherches sur les liens sociaux (CERLIS-UMR 8070).
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