Bruit du temps - Juin 2022
« Si les horreurs de ces dernières années firent tomber notre présomptueuse assurance, les malheurs et les souffrances qui se sont effondrés sur nos têtes auront été de quelque utilité. Mais il est peu probable que cela se passe ainsi. Il faut croire que les hommes, ces perpétuels Sisyphes, se remettront de nouveau, dans cinq ans, dans dix, dans vingt ans, à rouler patiemment l’immense rocher de l’histoire, et s’efforceront, tout comme naguère, de le hisser dans les tourments au sommet de la montagne jusqu’à la prochaine catastrophe, jusqu’à ce que se répètent encore tous les malheurs dont nous fûmes les témoins. La philosophie de l’histoire ne ressemble pas du tout à la description que nous en faisait Hegel avec une assurance si enviable et une si lourde insouciance. L’humanité vit non pas dans la lumière, mais au sein des ténèbres, plongée dans une nuit continuelle. Non ! dans mille et une nuits ! Et l’histoire “n’amènera jamais l’homme” à la lumière. » Léon Chestov, « Mille et une nuits », préface au Pouvoir des clés, janvier 1919.
Né à Kiev dans une famille juive, Léon Chestov (1866-1938) commence dès 1895 à fréquenter les cercles littéraires et philosophiques russes. Après la parution de son second livre, L’Idée du bien chez Tolstoï et Nietzsche, Diaghilev lui propose de collaborer à sa revue Le Monde de l’art. Après avoir vécu en Suisse, en Italie, en Allemagne, il émigre définitivement de Russie en 1920 pour se fixer à Paris jusqu’à la fin de sa vie. Il écrit beaucoup : les éditions de la Pléiade de Schiffrin se lancent dans un premier projet d’« œuvres complètes » en 1926, et la NRF publie des Pages choisies en 1931. C’est après-guerre qu’il exerce en France la plus grande influence ― son Kierkegaard et la philosophie existentielle paraît un an après sa mort, en 1939. Camus proclame sa dette envers Chestov dès 1942. Georges Bataille co-traduit chez Vrin son deuxième livre. Yves Bonnefoy écrit en 1967 son essai « L’Obstination de Chestov » pour le nouveau projet d’« œuvres complètes » des éditions Flammarion : 4 volumes publiés, traduits par le musicologue, critique et traducteur Boris de Schloezer, ami de l’auteur.
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