Antoine Grandjean, Florent Guénard (dir)
Juin 2012 - PU Rennes, coll. « Philosophica » - 16 €
Le ressentiment n’a pas bonne presse : « passion irrationnelle », « expression de l’impuissance », « envie déguisée » – les termes ne manquent pas dans l’histoire de la pensée pour disqualifier ce qui est apparu, au mieux, comme le sentiment d’un malaise, au pire comme un désir de vengeance rentrée des classes populaires à l’encontre des élites. Trois caractéristiques du ressentiment sont alors généralement mises en évidence. D’abord, on souligne que c’est une passion spécifiquement moderne, qui n’est théorisée qu’au xix e siècle parce qu’elle ne prospère pleinement que dans les sociétés de masse. ensuite, on montre que c’est une tradition de pensée spécifique (Nietzsche puis Scheler) qui en a définitivement fixé le sens, la comprenant comme l’émotion des faibles incapables d’affirmer leur hostilité à l’encontre de ceux qui les dominent. On précise enfin que le ressentiment conduit à une subversion des valeurs morales, et qu’il gît au creux des passions politiques d’apparence émancipatrice : la vérité de la volonté d’égalité ou de justice serait une rancune honteuse.
C’est à montrer les limites de cette interprétation que cet ouvrage est consacré. Il veut montrer que le ressentiment a une histoire, et que si l’on veut identifier la spécificité de ses manifestations contemporaines, il faut les mesurer à la manière dont la philosophie ancienne et la pensée classique ont thématisé les affects approchants. Il entend également construire une critique des interprétations traditionnelles, en montrant comment celles-ci ont tendu
à simplifier la pensée nietzschéenne, et ce pour restituer à cette passion son éminente complexité. Il souhaite enfin organiser une analyse du dynamisme dont le ressentiment est l’expression, en mettant à profit la richesse que signifie en la matière une approche pluridisciplinaire. Car cette passion, loin d’être seulement cette manifestation de l’impuissance à laquelle on a voulu la réduire, est réaction émotionnelle face à l’inachèvement de l’égalité dont nos sociétés démocratiques sont pourtant la promesse.
Le ressentiment est création de valeurs, attention à la réciprocité, attachement à la justice. C’est une passion sociale qui exprime la puissance de l’affect dans la vie politique ; c’est plus encore l’une des formes, certes potentiellement pathologique, de l’élément affectif dont nos idéaux de liberté et d’égalité ont un irréductible besoin.
Sommaire
La tradition en questionNietzsche et le « génie » du ressentiment
La subversion des valeurs par l’ordre bourgeois. L’efficacité sociale du ressentiment selon Max Scheler
« Haine, envie, vengeance, et tous ces mots qui composent le vrai dictionnaire des révolutions »
Ressentiment, révoltes et histoire
L’ancien et le moderneFigures du ressentiment dans quelques anthropologies anciennes : de la singularité affective du thumos à la pathologie ordinaire de la colère
Figures du ressentiment à l’âge classique (Leibniz, Pascal, Spinoza)
Vengeance et appel au ciel dans le jusnaturalisme révolutionnaire de Locke
Figures du ressentiment. Un point de vue psychanalytique
Le travail des institutionsRessentiment, envie et sens de la justice (Honneth, Rawls)
Ressentiment et sentiment d’injustice : quels enjeux pour la justice pénale ?
Le ressentiment, passion de l’assistance ?