On doit à Kant l’idée d’archéologie philosophique, et à Foucault sa définition : l’histoire de « ce qui rend nécessaire une certaine forme de pensée ». Les dix leçons de chose ici éditées veulent définir et illustrer par l’exemple le sens de la démarche « archéologique » en histoire de la philosophie. On y fouille trois archives logiques et métaphysiques majeures dont on montre l’interconnexion, de l’Antiquité et du Moyen Âge à l’Âge classique et à la modernité : le dossier de la querelle des universaux, celui du statut ontologique du mal, celui du mode d’existence des fictions, en suivant pas à pas le travail des grandes figures de l’histoire philosophique de la philosophie, de Morhof († 1691) et Brucker († 1770) à Cousin († 1867), Reid († 1796) et Stewart († 1828). Grâce à des outils nouveaux, comme la notion de feed back textuel, on montre comment s’est constituée la distinction historiographique entre nominalisme, réalisme et conceptualisme qui articule toute l’histoire de la logique et de la psychologie à la fin du XIXe siècle. Attentif à la construction des « intrigues », on revient sur la promotion d’Abélard et de Descartes au rôle de figures porteuses du « grand récit » philosophique national. Soucieux de renouer l’alliance entre perspective génétique et méthode structurale, on tente de répondre sur un cas précis à la question foucaldienne des « règles de passage d’un événement de pensée à un autre », en l’occurrence : comment les médiévaux passent du « questionnaire de Porphyre » au « problème des universaux ». Bref : on plaide pour cette archéologie du texte et des concepts primitivement exclue par Foucault du domaine de l’archéologie du savoir.
Alain de Libera est professeur au Collège de France où il occupe la chaire d’histoire de la philosophie médiévale.
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