L’œuvre de Blanchot est faite de récits. De récits romanesques, de récits critiques, de récits politiques, de récits fragmentés; l’œuvre entière pourrait être lue comme un gigantesque récit. Blanchot raconte, se raconte, raconte son temps, raconte les livres qu’il lit, les théories qu’il discute et qu’il déploie, les événements auxquels il participe. Le tour est dramatique puis, quand la dramatique se mécanise, toujours quelques interventions de langage l’interrompent et la réinventent. Jusqu’au…
silence. La question poétique peut alors commencer: celle des récits, de la vie versée dans les récits.
Certaines questions de moralité, les poéticiens nous l’ont appris, ont été vidées. Sartre demandait, dans le second ensemble de ses Situations: « Qu’est-ce que la littérature ? » Des apprentis sartriens, soucieux de préciser, de rappeler qu’aucun livre devant un enfant mourant ne fait le poids, lui répondaient en répétant une question redoutable : « Que peut la littérature ? » Barthes répliquait dans sa Leçon controversée : «Ce leurre magnifique, qui permet d’entendre la langue hors-pouvoir,
dans la splendeur d’une révolution permanente du langage, je l’appelle pour ma part: littérature. »
Dans ses essais et ses récits au neutre, portés longtemps par « l’exigence fragmentaire », Blanchot nous dit qu’il arrive que le savoir se libère du savoir, qu’il n’obéisse plus aux mots d’ordre des théoriciens, qu’il résiste même aux théories les plus fictives, qu’il s’allège et nous décontenance, « lorsque la vérité ne constitue plus l’instance à laquelle il lui faudrait finalement se soumettre ». Ce serait à un savoir de ce genre que Blanchot revient sans cesse en montrant, dans son œuvre de critique, que « le
lecteur ne peut savoir ce qu’il sait, et qu’il sait plus qu’il ne sait ».
Les Actes du colloque de Genève ont été introduits par cet argument détaché de L’Entretien
infini:
«— Cette idée, tant de fois proposée et toujours déplacée, c’est que dans la littérature se jouerait quelque affirmation irréductible à tout processus unificateur, ne se laissant pas unifier et elle-même n’unifiant pas, ne provoquant pas à l’unité. C’est pourquoi nous ne pouvons la saisir que par le biais d’une suite de négations, car c’est toujours en termes d’unité que la pensée, à un certain niveau, compose ses références positives. C’est pourquoi aussi la littérature n’est pas vraiment identifiable, si elle est faite pour décevoir toute identité et pour tromper la compréhension comme pouvoir d’identifier. Qu’à côté de toutes les formes de langage où se construit et se parle le tout, parole d’univers, parole du savoir, du travail et du salut, il faille pressentir une tout autre parole libérant la pensée d’être toujours seulement pensée en vue de l’unité, voilà donc ce qui peut-être nous resterait encore au fonddu creuset.
— Du moins momentanément.»
Aux côtés de Heiner Goebbels (dont le travail a été présenté en ouverture du colloque) et de Benoît
Jacquot (auteur d’un film d’après un roman de Blanchot), les Actes rassemblent des textes de
Guillaume Artous-Bouvet, Christophe Bident, Yannick Butel,
Maxime Decout, Jonathan Degenève, Laurent Demanze,
Daniel Dobbels, Heiner Goebbels, Kevin Hart,
Leslie Hill, Benoît Jacquot, Vincent Kaufmann, Chloé Larmet, Jérémie Majorel,
Gilles Philippe, Sylvain Santi, Parham Shahrjerdi, Daniel Wilhem
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