mercredi 2 juin 2010

Le Dernier Homme

Jean-Baptiste de Grainville



Paru le : 02/06/2010
Editeur : Payot
Collection : critique de la politique
Prix : 23 €

Dans L'Oraison funèbre en l'honneur des citoyens tombés le 10 août 1792, Grainville, prêtre constitutionnel, brossait un tableau enthousiaste de l'avenir. "Depuis l'aurore jusqu'au couchant, le Peuple va régner. Le bonheur attend ce moment pour descendre du Ciel sur la Terre... quelque part où les Hommes porteront leur pas, ils y trouveront un Frère et l'abondance." Le même Grainville se suicida en février 1805 - l'hiver du sacre de celui que Fichte appelait "l'homme sans nom" - après avoir écrit Le Dernier Homme. Cette oeuvre, le poème de "la mort du monde" selon Michelet, sera publiée la même année par Bernardin de Saint-Pierre.

Que convient-il de percevoir dans ce renversement, dans ce saut du règne de la liberté à l'épuisement du monde et des hommes ? Charles Nodier, Jules Michelet, Raymond Queneau, d'autres encore, prêtèrent toute leur attention à ce texte - qualifié par certains de chef-d'oeuvre méconnu - qui décrit les aventures d'Omégare, le bien nommé Dernier Homme, entre l'Europe et l'Amérique dans un monde proche de sa fin où règnent ruines et stérilité. Le Dernier Homme peut se lire comme l'effet métaphorique de la Révolution française. N'associe-t-il pas la clôture de l'événement à la fin d'un monde et à l'avortement d'un monde nouveau ?

Très sensible à l'énigme de l'oeuvre à sa pluralité de sens, Anne Kupiec, dans une postface très informée, poursuit le thème du dernier homme et de ses métamorphoses, à travers la modernité post-révolutionnaire de Mary Shelley jusqu'à Nietzsche. Grâce à une lecture attentive, elle parvient à rendre sensible l'étrangeté d'un texte qui défie toutes les catégories où la critique cherche à l'enfermer. C'est ainsi qu'Anne Kupiec parvient à faire apparaître comme une oscillation entre un monde de malheur en proie à une inéluctable stérilité - une "expérience du gouffre" - et une dimension utopique voilée qui prend la forme d'un avenir ouvert, d'une aurore indéterminée.

On comprendra aisément à lire Grainville que cet "étrange rêveur" puisse prendre place aux côtés d'un autre poète bouleversé par l'ébranlement révolutionnaire, celui que B. Pautrat appelle un "astre énigmatique", William Blake.

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