La figure d'Émilie Du Châtelet (1706-1749) – née Gabrielle-Émilie Le Tonnelier de Breteuil et marquise Du Châtelet-Lomont par son mariage – ne s'est dégagée qu'à la fin du siècle dernier de cette aura de gloire auxiliaire qui avait si longtemps masqué, devant l'histoire, ses mérites et ses qualités propres: on l'avait le plus souvent réduite, par une misogynie généralement bien assumée, à rester l'«Émilie» de Voltaire, la dame et l'âme du «paradis terrestre» de Cirey, maîtresse passionnée, compagne d'étude et de vie, égérie d'une carrière orageuse, partageant dans une liaison mythique les travaux, les plaisirs et les peines du grand homme. Voltaire avait pourtant célébré en sa «divine Émilie», publiquement, avec une absolue sincérité, au-delà de la tendresse humaine, la femme d'exception douée de tous les dons de l'esprit, transcendant tous les préjugés de l'époque, du sexe, du rang, et portée par l'ambition moderne du savoir à investir d'un désir de survie une œuvre intellectuelle autonome et authentique. Tous les écrits d'Émilie Du Châtelet, ses Institutions de physique, son commentaire méthodique des Principia de Newton, partaient de là; et ils lui valurent de fait, dans un univers scientifique massivement masculin, une reconnaissance et un renom personnels, sans interférence trouble avec ceux de Voltaire. Le découplage récent des deux figures, effet complexe du développement de l'histoire des femmes, de l'histoire des sciences et de progrès décisifs intervenus dans l'analyse des sources et l'interprétation du dossier, rétablit une vérité historique trop longtemps refoulée.
Cette révolution trouve son prolongement naturel dans cette nouvelle édition de la correspondance d'Émilie Du Châtelet, la seconde après celle qu'en donna Theodore Besterman en 1958. Le caractère pluridisciplinaire du collectif éditorial, les éclairages nouveaux tirés des avancées de la recherche, les additions nombreuses apportées au corpus, en particulier de lettres relatives aux écrits savants et à leur réception, l'exploitation systématique des archives de famille redécouvertes en 2010, des documents du temps et de la presse européenne entre autres, permettront de recentrer l'intérêt sur la figure de l'auteur et de l'épistolière. La distribution du travail entre les collaborateurs a permis d'apporter une attention égale et aussi précise que possible aux diverses séries épistolaires – lettres savantes, intimes ou familiales, lettres de réseau, de dispute ou d'affaires – et aux divers correspondants dont la galerie reflète la richesse des intérêts et des rapports d'une vie: des amis de cur et de cour, des adversaires d'idées, un prince royal puis roi de Prusse, Frédéric II, des scientifiques français et européens, Maupertuis, Wolff, Clairaut, Cramer, Euler et Johann Bernoulli, des hommes de loi, des nouvellistes et même des poètes. Les lettres échangées avec Voltaire manquent encore – reparaîtront-elles un jour? mais cette lacune avive un paradoxe du recueil augmenté: ce lien privilégié, fait de séduction, d'admiration et de respect mutuels, diffuse ailleurs son exceptionnelle intensité, en creux ou en écho, jusque dans les lettres du dernier amour de Mme Du Châtelet pour Saint-Lambert, laissant au cur du recueil la voix féminine trop longtemps minorée. Peu de correspondances historiques et intellectuelles présentent une telle densité de passions, d'engagements, de risques, et l'évocation d'un accomplissement personnel aussi intense.
L'ouvrage comprend une introduction générale sur la vie et l'uvre de Mme Du Châtelet, l'historique des éditions, les principes de l'édition, une chronologie, des notices biographiques, le texte modernisé et annoté de toutes les lettres conservées, des annexes documentaires, des concordances avec les édition précédentes, des listes de lettres alphabétique et chronologique, une liste des manuscrits exploités et un index général.
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