dimanche 29 janvier 2017

Ernst Bloch : Héritage de ce temps

Klincksieck - Janvier 2017 - Critique de la politique


L'écriture expressionniste d'Héritage de ce temps, composé sous forme de tableaux, de petites vignettes ne faisant jamais totalité mais qui se contentent de nous livrer des détails significatifs, "des prodiges de petits détails", le rend impossible à résumer. Il comporte une introduction, "La poussière", et trois parties : "Employés et distraction", "Non contemporanéité et environnement", "Grands bourgeois, objectivité et montage". Retenons par conséquent deux idées essentielles : Ernst Bloch propose dans cet ouvrage une thèse tout à fait nouvelle sur la pluralité des temps sociaux. Se tournant successivement vers différents groupes, il montre que certains d'entre eux, par exemple les paysans, vivent dans un décalage temporel par rapport au temps présent, ce qu'il appelle une "non-contemporanéité". Il apparaît alors que la société est composée d'une pluralité de temps en lutte pour constituer une temporalité dominante. "Tous ne sont pas présents dans le même temps présent". Il discerne également, derrière la raison instrumentale en rapport avec la technique moderne et qui triompherait avec le nazisme, une irrationalité, véritable tohu-bohu idéologique, nourri d'occultisme et d'archaïsme. Ces thèses sont à comparer avec celles du sociologue G Gurvicht sur la pluralité des temps sociaux, et avec celles de Neumann sur l'irrationalité nazie : ce dernier se refuse à parler à son sujet d'un Etat totalitaire dans la mesure où l'Etat reste une figure de la raison. Il préfère donc définir le nazisme comme un non-Etat.

Présentation et traduction de Jean Lacoste.

Ernst Bloch (1885-1977) a très tôt adhéré au socialisme et a fait campagne contre le militarisme prussien. En 1915, il part pour la Suisse où, pendant toute la guerre, il défend des positions anti-impérialistes. Rentré en Allemagne, il publie en 1918 L'Esprit de l'utopie, un des grands livres du marxisme non orthodoxe. En 1922, il publie sa thèse consacrée à Thomas Munzer. Il attaque de plus en plus violemment le nazisme et publie en 1935 L'Héritage de ce temps, ouvertement antinazi. Déchu de la nationalité allemande et exposé aux persécutions antisémites, il quitte l'Allemagne et part pour New York. A la fin de la guerre, il revient en Europe, en Allemagne de l'Est, et occupe la chaire Karl Marx à l'université de Leipzig. Il commence à faire paraître son opus magnum, Le Principe espérance (trois tomes, 1954-1959). D'abord salué par les autorités de la RDA, il est ensuite accusé de professer un marxisme hérétique et de "corrompre la jeunesse". En 1961, il quitte la RDA et achève sa carrière à l'université de Tübingen.

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