Editions MF - Octobre 2022
Le jazz, qui apparaît comme un phénomène esthétique majeur du xxe siècle, a pourtant été délaissé par la philosophie qui en a été contemporaine. Ce désamour de la philosophie à l’égard du jazz se mesure à deux niveaux : d’une part à la rareté des écrits philosophiques qui lui sont consacrés, d’autre part à la dureté du traitement qui lui a été généralement réservé. Mais alors, quel sens donner à ce silence «philo-phonique» à propos du jazz ? Pourquoi les philosophes contemporains du siècle du jazz ne se sont-ils jamais véritablement intéressés à sa dimension esthétique ? Et pourquoi n’ont-ils pas davantage porté attention à ses revendications politiques, alors même que celles-ci ont donné lieu à de vifs débats dans les années 1960–1970 ?
L’objectif de cet essai ne consiste pas à exposer des éléments conceptuels sur lesquels on pourrait faire reposer une philosophie du jazz, mais plutôt à faire émerger le sens philosophique de ce « rendez-vous manqué » entre le jazz et la philosophie. La philosophie, face au jazz, semble devoir se confronter à ce qui lui échappe : l’ampleur des processus de dénégation mis en place par certains auteurs pour ne pas le prendre en considération semble témoigner du fait que le jazz résiste bel et bien à son appréhension philosophique.
Si la philosophie a bien eu du mal à tenir le jazz en respect, si ce dernier lui a opposé avec bruit et fracas un obstacle théorique l’ayant conduit à une «sortie de route», alors le diagnostic de cet échec ne nous laisse pas sans rien. Il invite la philosophie (les philosophes) à comprendre les motifs de son mutisme, à débusquer ses craintes et ses préjugés, à repenser, un à un, ses concepts traditionnels – et par là même à réinterroger le sens même du geste de l’esthétique, lorsqu’il s’agit pour elle de penser la musique.
Joana Desplat-Roger est agrégée de philosophie, docteure en esthétique, et Directrice de Programme au Collège international de philosophie. Actuellement, elle enseigne l’esthétique et la philosophie de l’art à l’université de Rennes 2 (ater – département d’Histoire de l’Art). Elle est l’éditrice scienti- fique de l’ouvrage L’Art comme jeu de François Zourabichvili (Pun, 2018), et elle a co-dirigé l’ouvrage collectif Adorno contre son temps (Pun, 2019). Elle est membre du comité de rédaction de la revue Rue Descartes (CiPh), ainsi que de la revue scientifique en ligne Epistrophy – La revue de jazz (www. epistrophy.fr).
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