jeudi 27 septembre 2018

Pierre Caye et Florence Malhomme (dir.) : Quand l'art se dit et se pense. Les théories artistiques de l'Antiquité aux Lumières

Classiques Garnier - Août 2018 - coll. Rencontres


Ce recueil d’études montre combien l’art, de l’Antiquité aux Lumières, a réussi à se penser et se dire selon sa propre logique, et ainsi à se construire en discipline et en savoir, au point de jouer un rôle constitutif dans la genèse des nouvelles rationalités à partir de la Renaissance.

RESUMES

Sylvie Perceau, « Avant la théorie. Mimèsis, poièsis, ekphrasis dans la poésie homérique »

Les ekphraseis homériques illustrent la façon dont l’artiste archaïque conçoit sa création et obligent à reconsidérer la conception platonicienne du poiètès dépossédé de sa raison par un dieu ou pratiquant en magicien l’art de l’illusion. Il réalise des objets au destinataire unique dont la qualité exceptionnelle suscite l’admiration (thaûma). Artisan talentueux, il rend visible la tekhnè dans l’objet « bien achevé » qui vise non l’« illusion de vie », mais le plaisir esthésique (terpsis).

Leopoldo Iribarren, « Le bouclier d’Achille (Iliade, XVIII) comme objet théorique de l’Antiquité tardive au xviiie siècle. Entre la concordance des arts et leur différence spécifique »

Cette étude retrace l’histoire de la réception conjointe de deux textes : le bouclier d’Achille (Iliade, XVIII, 478-608) et l’aphorisme de Simonide qui dit « la peinture est une poésie muette et la poésie une peinture parlante ». La thèse est que le couple formé par ces deux textes – considéré comme un objet théorique à part entière – a contribué à donner forme à la réflexion sur le rapport entre arts de la parole et arts visuels au cours de quinze siècles.

Giorgio IeranÒ, « Les arts figuratifs, d’après la tragédie grecque »

Cet article analyse les différentes façons dont les images des arts figuratifs sont envisagées dans les textes de la tragédie grecque, des références explicites aux peintures et aux sculptures à l’emploi des termes artistiques dans la poésie dramatique. Il étudie le lien entre le théâtre et les arts visuels, peinture et sculpture, à partir de la notion d’ópsis, en s’appuyant sur les réflexions philosophiques contemporaines, de Gorgias à Platon, sur le pouvoir des images artistiques.

Gabrièle Wersinger Taylor, « Aux sources de l’Art. Les concepts d’“art nouveau” et de “génie” dans l’élaboration de la théorie de la poièsis en Grèce ancienne »

Un examen du lexique grec ancien des notions de production, d’enfantement, de naissance, de genèse et de généalogie, d’invention et d’innovation (Homère, Hésiode, Les Hymnes homériques, le Papyrus de Derveni, Parménide, Empédocle, Platon, la tradition du prôtos heuretès, les néo-musiciens Timothée de Milet et Agathon) montre que l’assimilation de ces notions est surtout orphique et culmine avec la Kainè mousikê.

Giovanni Lombardo, « Les métaphores de la construction dans la poétique ancienne »

L’attention que les Anciens portaient à la technique et à l’habileté manuelle se traduit par l’usage de comparer les poèmes aux produits de la charpenterie et de l’art de bâtir. Cet article étudie les diverses métaphores engendrées par ce rapprochement, les analogies reliées à l’idée de kósmos en tant que construction harmonique, le rapport entre construction et illusion, en particulier chez Denys d’Halicarnasse dans sa théorie de la composition stylistique.

Frédérique Ildefonse, « Le feu artiste »

Cet article cherche à comprendre ce que l’expression stoïcienne de « feu artiste » (pûr tekhnikon), qui, chez Diogène Laërce (VII, 156), qualifie la nature (« la nature est un feu artisan qui avance méthodiquement en vue de la génération »), nous apprend, tant sur la tekhnè stoïcienne que sur les rapports entre nature et tekhnè et met en évidence que le feu artiste constitue un troisième terme entre l’immanence de la démiurgie naturelle et l’extériorité de la tekhnè par rapport à ses œuvres.

Émilie Séris, « De la gymnastique grecque à la théorie humaniste du nu »

En Grèce ancienne, le modèle du nu était l’athlète, incarnation de l’hygièia hippocratique, mais la médecine galénique a défini la santé et la beauté comme l’état médian entre l’eucrasie – la constitution excellente – et la maladie. La critique de la gymnastique a marqué les théories de l’art humaniste : si l’athlète antique demeure le modèle anatomique par excellence, le nu robuste, 395contraire à la grâce et à la délicatesse, est unanimement blâmé à la Renaissance, notamment dans les figures de Michel-Ange.

Pierre Caye, « Architecture et encyclopédisme. Du De architectura de Vitruve à l’Encyclopédie méthodique d’Architecture de Quatremère de Quincy »

Architectura est le nom antique de la technique, le paradigme qui rend raison de la conception et de la réalisation d’un grand nombre de machines diverses. Elle est pour Vitruve un savoir architectonique structurant une encyclopédie des savoirs théoriques et pratiques au service de la technique. L’article étudie la place de cet idéal dans la dernière grande synthèse vitruvienne de l’architecture, l’Encyclopédie méthodique d’Architecture (1788-1825) de Quatremère de Quincy.

Florence Malhomme, « La naissance de Terpsichore ou l’apologie de la danse nue »

Subordonnée à la Renaissance au quadrivium, la danse ne saurait se réduire à un exercice mathématique, mais requiert avant tout la beauté et la grâce du corps vivant. Elle s’avère en outre être sagesse : une danse nue qui, dépouillant l’homme de ses paroles et passions vaines, lui confère la joie du geste pur ; une sagesse du pied, qui est un art de la maîtrise de soi et de la tenue ; un art de la solitude enfin, qui enracine l’homme en lui-même, suspend son errance et le rend maître du temps.

Hélène Casanova-Robin, « Splendeur et magnificence de l’ornement dans l’œuvre de Giovanni Pontano. Entre jubilation esthétique et idéal éthique »

Si Giovanni Pontano n’est pas un théoricien de l’art, son œuvre est riche d’une réflexion sur l’esthétique, jamais dissociée d’un idéal éthique. L’ornement y est conçu comme un élément échappant à la nécessaire mesure qui doit régir l’esprit de l’homme de bien : il incite à l’élévation de l’âme et tend vers le sublime. L’étude prend appui sur les traités De magnificentia et De splendore et examine un extrait du De Hortis Hesperidum où se déploie une illustration poétique de cette réflexion.

Laurence Boulègue, « La puissance de l’image et la théorie de l’inspiration chez Jean-François Pic de la Mirandole »

Cet article analyse, du De imaginatione (1501) aux lettres De imitatione (1512-1513), la conception de l’imagination dans la théorie de la connaissance de Gianfrancesco Pico della Mirandola. Celle-ci prend naissance dans la révision de la psychologie péripatéticienne jusqu’à la critique de la mimèsis comme acte créateur. L’imagination se révèle une puissance d’une plasticité étonnante, embrassant les facultés de l’intellect, qu’elle surpasse. S’ouvre alors un nouvel espace créatif.

Valérie Naas, « Pline l’Ancien et les théories de l’art. La construction d’une auctorialité ? »

Après avoir rappelé comment s’est établi et a évolué le statut de Pline l’Ancien comme auteur sur l’histoire de l’art, l’article analyse l’existence et la nature d’une pensée plinienne sur l’art. Celle-ci est marquée par la perspective politique, idéologique et morale de l’Histoire naturelle. Longtemps considéré comme autorité sur les théories de l’art dans l’Antiquité, Pline s’avère l’auteur d’un discours personnel sur l’art, dans le cadre d’un stoïcisme romanisé et d’un impérialisme assumé.

Marcello Ciccuto, « Le Pline des humanistes entre récit et image »

Cet article décrit les diverses façons dont la réception de l’Histoire naturelle de Pline a évolué tout au long du xve siècle. En passant par la conception de la critique d’art de Pétrarque, l’inclusion de la peinture parmi les arts libéraux par Alberti, la diffusion du texte grâce au travail des humanistes napolitains en particulier, l’article étudie enfin les différentes versions illustrées de l’encyclopédie plinienne, qui contribuent à donner une forme moderne à la pensée artistique classique.

Emmanuelle Hénin, « La critique des anecdotes pliniennes »

Les anecdotes de Pline sur la peinture antique constituent le socle de la théorie artistique. À partir du xviie siècle, elles donnent lieu à une triple critique. La critique historique démythifie ces apologues en les passant au crible de la raison. La critique technique pointe la méconnaissance plinienne 397en matière de technique picturale, qui retire toute crédibilité à son propos. La critique anthropologique traite les anecdotes pliniennes comme des fables recélant des vérités cachées.

Baldine Saint Girons, « Aux origines de l’esthétique. Philosophie ou rhétorique ? »

Sans doute l’esthétique n’apparaît-elle à titre de vocable qu’au xviiie siècle ; mais on peut avec d’excellentes raisons parler d’esthétique antique du fait qu’un grand nombre de concepts-clés de l’esthétique ont été inventés par les Grecs et les Latins. Faut-il, cependant, chercher l’esthétique davantage du côté des Idées et des principes de la philosophie ou bien des catégories de la rhétorique ?

Pierre Caye, « Cosa mentale. Statut et fonction de la théorie en art »

Cette étude questionne, en guise de conclusion, le rôle de la théorie sur le développement des compétences artistiques et sur la logique même de la création de l’œuvre d’art. Elle insiste tout particulièrement sur le fait qu’au contraire de la philosophie de l’art, la théorie de l’art naît de la pratique et revient à la pratique : elle est l’expression même de la vie de l’art, à la fois dans son processus d’autoformation et dans ses actes de création. Elle est bien l’art lui-même qui se dit et qui se pense.

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