lundi 27 mai 2024

Benjamin Thomas : Faire corps avec le monde. De l’espace cinématographique comme milieu

 Circé - Avril 2024


Certains plans cinématographiques s’emploient à donner une présence à l’espace qu’ils ouvrent, sur lequel ils ouvrent, qui s’ouvre avec eux. Or, il peut arriver que cet espace se refuse à se laisser saisir par les notions de « décor » ou de « paysage », voire qu’il résiste à la catégorie d’« espace » telle qu’elle a été pensée dans les écrits sur le cinéma. C’est notamment ce qui peut advenir quand on se trouve face à des plans faisant de l’espace une présence pleine et entière tout en la rendant indissociable des corps qui y évoluent. L’enjeu, pour une réflexion se plaçant dans le champ des études cinématographiques, serait alors de tenter de remédier à l’impossibilité de dire les puissances cinématographiques que mobilisent de telles images. Penser le cinéma, c’est, au plus près de ses formes et de ses opérations de figuration, trouver les mots pour décrire celles-ci et ainsi les faire exister également sur le plan théorique. Ce serait, ici, se donner les moyens de penser un aspect du « travail » des films encore inaperçu, qui pourtant, comme d’autres, soutient les reconfigurations du monde que les images cinématographiques opèrent sur un plan sensible. La rencontre avec une séquence du Chant des oiseaux (Albert Serra, 2008) aiguillonne la réflexion. Elle laisse intranquille ; elle commande de trouver, c’est-à-dire de définir à la lumière de multiples propositions théoriques, le mot – milieu – qui permettrait de dire pleinement ce dont elle participe : une manière cinématographique de faire exister corps et espace en tant qu’ils s’entr’appartiennent et se définissent réciproquement. On sera alors en mesure de repérer les mêmes puissances esthétiques et expressives à l’œuvre dans d’autres films, dans un corpus (ouvert) hétérogène, du Goût du riz au thé vert (1952) de Yasujirô Ozu à Take Shelter (2011) de Jeff Nichols, en passant par Le Monte-charge (1962) de Marcel Bluwal, L’Humanité (1999) de Bruno Dumont ou Under the Skin (2013) de Jonathan Glazer. On pourra ainsi en préciser les enjeux, mais aussi, grâce à elles, poser à nouveaux frais d’autres questions cinématographiques : qu’est-ce qu’un territoire en cinéma ; quelles sont les modalités d’apparaître d’un sujet filmique ; puis-je, au cinéma, découvrir des états de corps et d’espace que mon corps « réel » n’expérimentera jamais ? …

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