Nos sociétés sont travaillées par une contradiction étonnante et inexplicable : jamais autant de gens n'ont simultanément dénoncé les conséquences sociales et politiques générées par la mondialisation ; jamais autant de gens n'ont été incapables de dépasser l'état de choses existant et d'imaginer un état social innovant au-delà du capitalisme. Cette dissociation de l'indignation d'avec tout objectif d'avenir est quelque chose de nouveau dans l'histoire de la modernité. Les processus socio-économiques apparaissent désormais bien trop complexes, voire totalement opaques à la conscience publique pour que soient jugées possibles des interventions humaines ciblées. La célèbre analyse du fétichisme développée par Marx dans le Capital ne prend qu'aujourd'hui son sens historique : ce n'est pas dans le passé du capitalisme, lorsque le mouvement ouvrier imaginait encore pouvoir transformer la situation donnée, mais seulement de nos jours que triomphe la conviction générale selon laquelle les relations sociales sont aussi peu transformables dans leur substance que le sont les choses extérieures. Si l'indignation générale suscitée par la répartition scandaleuse de la richesse et du pouvoir ne nous rend manifestement plus capable d'identifier un objectif accessible, la raison n'en est pas la disparition de l'alternative au capitalisme incarnée par le régime soviétique qui ne dispensait certains avantages sociaux qu'au prix de la privation de liberté, moins encore une transformation radicale dans notre compréhension de l'histoire et le culte du présent immédiat, mais la prédominance d'une conception fétichiste des rapports sociaux. A la lumière de cette analyse, Axel Honneth élabore les modifications conceptuelles nécessaires - notamment la "liberté sociale" - afin que les idées socialistes retrouvent leur virulence perdue.
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