mardi 22 janvier 2019

Philosophie n° 140 : Heidegger, Holderlin, Eschyle

Minuit - Janvier 2019


Ce numéro s’ouvre sur « Voix de l’éternel à l’éternel » de C. Layet, consacré à l’essai philosophique de Hölderlin La Démarche de l’esprit poétique. Il y nomme sensation transcendantale l’état harmonique auquel permet d’accéder la position d’un principe relationnel – dont demeure privée la fondation dans le Moi absolu défendue par Fichte ; en tant que lien irréductible avec l’extériorité, cette sensation se distingue aussi de ce que Hegel nomme intuition transcendantale dans la Differenzschrift. Si l’épreuve d’une telle sensation est caractérisée comme condition nécessaire pour tout accomplissement humain, elle n’est cependant pas suffisante pour que l’homme atteigne sa destination, la sensation exigeant en outre de se manifester dans une langue poétique. À partir des années trente, la pensée de Heidegger se caractérise de plus en plus explicitement par la tentative de restituer la « possibilité première » de l’autre commencement (der andere Anfang) de la pensée de l’être. Dans « Vers une démodalisation du possible : Heidegger et le clivage de l’estre », I. Macdonald esquisse une interprétation de cette possibilité, en lien étroit avec la critique de la modalité qu’elle présuppose – critique surtout mise en œuvre dans les Beiträge zur Philosophie (Contributions à la philosophie) – et la réception heideggérienne de Hölderlin. 
Dans « L’angoisse dans l’Agamemnon d’Eschyle à la lumière d’Être et Temps de Heidegger », J.-J. Alrivie tente de montrer que lorsque Heidegger inclut expressément Eschyle dans ce qu’il nomme commencement grec, cela procède d’une conviction bien étayée – et ce même s’il ne se livre pas, comme il le fait pour Homère ou Sophocle, à l’exégèse élaborée de textes précis. Par la question centrale de l’angoisse qui y est en jeu, Agamemnon apparaît dans l’Orestie comme l’œuvre d’Eschyle la plus propre à manifester cette parenté entre la poésie tragique d’Eschyle et l’analytique existentiale. 
Dans « Martin Heidegger, un recteur nazi et l’“anéantissement total” de l’ennemi intérieur », G. Payen se livre à une analyse historique précise. Selon Emmanuel Faye, Heidegger aurait lancé un appel à l’extermination dans un cours de 1933. Or, en parlant d’anéantissement total de l’ennemi intérieur, il reprenait l’expression d’un slogan de la campagne d’autodafés menée par la Corporation des étudiants allemands contre « l’esprit non-allemand » ; pour comprendre le sens qu’il pouvait lui donner, il faut la replacer tant au sein de la méditation du combat héraclitéen qu’il fit dans son cours, qu’à la lueur de la lutte antisémite qu’il mena comme recteur nazi de l’université de Fribourg-en-Brisgau. 
Dans les Questions jadis parues chez Gallimard, les traductions étaient assorties de remarques des traducteurs sur les difficultés de traduction et les choix terminologiques adoptés. Cette pratique s’est perdue, l’éditeur allemand des œuvres de Heidegger n’autorisant ni explicitation de la pensée de Heidegger en notes, ni commentaire sur les choix terminologiques – ce qui entrave le progrès de la traduction au fil des générations, fondé sur la comparaison explicite des choix et leur discussion. Les présentes « Remarques sur la traduction de certains termes heideggériens » de D. Pradelle, prévues en annexe à la traduction des Pensées directrices sur la genèse de la métaphysique, de la science et de la technique modernes (Seuil), tentent une explicitation de termes fondamentaux de la pensée du second Heidegger.

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