Cet ouvrage articule deux notions fondamentales des Lumières : d'une part, le moi et, d'autre part, la nature proche, en rapport vécu avec l'homme, qui correspond avec quelques nuances à ce qu'on appelle aujourd'hui "environnement". Si ces deux objets ont souvent été étudiés, c'est sans prendre en compte leur lien mutuel. Or, au sortir du XVIIe siècle, le moi, dépouillé par la critique philosophique de son armature d'âme ou de substance, est en quête d'une matrice pour se penser sur un mode non essentialiste. C'est alors en se concevant dans de nouveaux types de rapport qu'il pourra produire des modèles d'intelligibilité originaux de lui-même, contribuant ainsi indirectement à la genèse de l'anthropologie en cours : qu'il s'agisse du moi fragile, exposé aux déterminismes extérieurs et foncièrement incertain de lui-même ; du moi cadré, observant un ordre fixé par une volonté surplombante, souvent - mais pas toujours - celle de Dieu lui-même ; du moi fort, maître d'une nature à administrer et de climats à transformer (mais susceptible aussi de formes différentes) ; ou enfin du moi saturé, débordé par une capacité d'émotion se projetant à travers l'extériorité naturelle. Ces différentes figures - qui se croisent et se combinent chez Locke, Hume, Condillac, Dubos, Montesquieu, Volney, Linné, Diderot, Buffon, Marivaux, Prévost, Rousseau, Bernardin de Saint-Pierre... et bien d'autres encore -, loin de types rigides et séparés, sont autant de visages du même moi multiple, celui de la modernité et peu ou prou toujours le nôtre. Cette reconfiguration fondamentale opérée au XVIIIe siècle, nouant le destin du moi à son environnement, installe un terrain de sensibilité qui permettra aux siècles suivants, malgré tous les obstacles, retards et difficultés, l'invention de l'écologie scientifique, puis politique et enfin aujourd'hui éthique, horizon irréductible à une simple nécessité extérieure et fonctionnelle.
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