Qu'est-ce qui fait vivre un homme à l'approche de la mort, quand le mal l'a atteint irrémédiablement ? Comment cela change-t-il ses relations à autrui ? La mort, dont on ne lui parle pas, de quelle manière est-ce qu'il y pense, est-ce qu'il l'ignore ? De quel œil regarde-t-il sa propre déchéance physique ? Les convictions d'un caractère trempé, est-ce qu'elles se modifient à la fin ? L'introspection, la remise en cause, la culpabilité, le sentiment d'échec, la mélancolie dominent-ils ? Quand est-ce que le souci de l'œuvre à accomplir disparaît ? Michaël Bar-Zvi n'a pas « voulu » répondre à ces questions pendant les derniers mois de sa vie, il a seulement continué à donner aux siens et à ce peuple qui est le sien « ce qu'il nous reste d'être » - et cela a produit ces notes étranges, comme venues d'ailleurs... A plusieurs reprise il indique qu'il se confronte à « l'exil intérieur » et c'est avec un accent kafkaïen qu'il peut prononcer cette phrase : « Je vais essayer de vivre une journée normale ». « Né pour les courtes joies et les longues douleurs », la douleur principale à laquelle il se confronte pourtant n'est pas physique, c'est que le temps (le temps de la maladie), « ce temps ne m'est pas donné ». Dans cette situation les sujets habituels - discuter ceci, rapporter cela, plaisanter l'être et le néant - deviennent un exercice plus difficile, mais curieusement cette étrange nouveauté qui envahit tout, bouleverse tout et contre laquelle lui aussi voudrait bien s'arrimer ou du moins se tenir assez droit, ouvre en lui une intimité, permet une intrusion dans sa vie intérieure comme jamais. Cette sorte de confession pourtant ne réduit pas l'écart entre lui et nous, elle montre plutôt l'ultime recès et la noblesse du combat qui s'y livre, citadelle intérieure, théâtre de la dernière bataille au plus près de la « chambre du roi » devant laquelle on ne dépose pas son arme et qui ne sera jamais livrée. Ce dans quoi Michaël Bar-Zvi fut élevé, le souvenir au retour des camps, il le rejoint grâce à la simple vertu d'une vie traversée de bout en bout. Comme le lieutenant du « Désert des Tartares », en s'approchant humblement de l'unique destin, il donne un sens non seulement à tout ce qu'il a vécu dans la fidélité, mais à la geste de tous ceux qui forcément se rejoignent tôt ou tard dans la banalité de la mort. Il n'y a aucun obstacle entre les hommes puisqu'ils finissent, et l'exigence à leur égard ne s'éteint pas de par leur défection mais révèle à cette occasion une toute puissante douceur. En un sens c'est presque insoutenable. Michaël Bar-Zvi est mort le 29 mai et ses mots peuvent remplir d'infinis regrets, mais le regret est peut-être le dernier don que l'on puisse recevoir de celui qui disparaît. Comment franchir l'obstacle de l'altérité qui n'est en somme pleinement révélé que par l'amour, c'est-à-dire un respect infini ? Ces textes apparaissent comme des derniers signaux en provenance d'un bateau déjà lointain, qui se raréfient à mesure qu'il s'écarte et cesseront tout à fait quand il disparaîtra au large. La suite n'existe pas. « Je n'entends pas écrire pour la postérité mais pour une antériorité, pour devancer ma pensée ou pour ne pas la laisser passer. La pensée anthume est une ouverture, un passage, ou seulement une embrasure sur ce qui advient, beaucoup plus qu'une réflexion sur ce qui est déjà arrivé. Il ne s'agit pas d'anticiper ou de prévoir les événements, mais de nous préparer à les vivre sans les connaître. L'accueil du nouveau, de l'inattendu ou de l'intrus représente toujours une menace, vécu parfois comme une provocation ou une violence à notre tranquillité. L'anthume c'est essayer d'être en avance sans pour autant arriver trop tôt. » écrivait Michaël Bar-Zvi.
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