Ithaque - Janvier 2025
L’hallucination est un des mystères les plus fascinants de la vie des sens : comment peut-on percevoir quelque chose là où il n’y a rien ? Une interrogation surgit aussitôt : et si l’hallucination révélait, négativement et paradoxalement, la nature cachée de la perception ? Et si, paradoxe ultime, la perception n’était qu’une hallucination qui « réussit » ? Mathieu Frèrejouan poursuit ici une double enquête. Il raconte tout d’abord comment le terme d’hallucination, depuis le 18e siècle, a changé de sens et de valeur, entre médecine de l’œil, du cerveau et de l’esprit. Car, à côté des hallucinations effrayantes du grand alcoolique poursuivi par des rats, ou celles du psychotique qui entend ses « voix », il y a l’immense foule des bizarreries auxquelles l’halluciné ne croit pas, ou pas autant, bien qu’il les perçoive : « mouches volantes » de l’ophtalmologue, visions sous mescaline, apparitions « lilliputiennes », etc. Or cette histoire apporte un matériau original à un débat qui fait rage en philosophie : comment distinguer une hallucination d’une perception ? Ce débat a connu des développements décisifs dans la « philosophie du langage ordinaire » (avec Austin). Savons-nous bien, en effet, ce que nous voulons dire quand nous parlons de « voir », ou du « réel », ou de l’illusoire, du familier et de l’étrange ? Peut-on invoquer des cas pathologiques pour éclairer des situations banales ? Et, pour halluciner au sens strict, ne faut-il pas aussi délirer ? L’hallucination, perception « sans objet » ? Mathieu Frèrejouan déjoue les pièges que recèle cette formule consacrée en psychiatrie, dans un dialogue étonnant auxquels prennent part Edvard Munch, un obscur psychiatre russe halluciné, cousin de Kandinsky, Esquirol et Wittgenstein, les premiers spectateurs effrayés du cinématographe des frères Lumière, divers lecteurs de Condillac, et d’austères philosophes analytiques qui hallucinent des lapins roses.
Mathieu Frèrejouan est maître de conférences à Paris 1 Panthéon-Sorbonne, ses recherches se situent au croisement de la philosophie de la perception, de la psychiatrie, et de l’histoire.
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