Entre justification et explication, entre dire et faire, la destruction. Est-ce une chose ou un événement ? Un geste, une oeuvre ou une opération ? Un thème ou un titre ? Est-ce même bien un mot ? Qu'appelle-t-on destruction ? Avec Heidegger, Derrida en appelle à la destruction. Oui, à la destruction. L'a-t-on entendu ? Comme Heidegger (et c'est aussi ce "comme" qu'il s'agira d'examiner ici), Derrida nomme et renomme la destruction. Il lui donne le temps et le nom, une renommée. Il la surnomme "déconstruction", par exemple, ou, plus tard, "mal d'archive". Comme Heidegger, Derrida travaille, traduit et retraduit la destruction, faisant parfois comme si tous ses mots, tous les mots et les phrases qu'il propose et déploie à propos de la destruction, entretenaient des rapports sans rapport, rapports déjà trop clairs, ou encore bien obscurs. Qu'appelle-t-on destruction ? Après Heidegger, Derrida s'y est attardé, lui qui parlait, encore et encore, de destination et de destruction, lui qui nous a rappelés si souvent à la destruction qui arrive, partout où elle arrive. Posons que c'était l'un de ses combats, l'une de ses longues guerres (avec lui-même, d'abord, et avec la destruction). Sera-ce finalement la nôtre ? Est-il aujourd'hui temps de penser - après Heidegger, avec Derrida -, temps de combattre aussi peut-être, au moins d'écouter, la destruction qui vient ? Est-il encore temps de témoigner de la destruction qui croit ?
Gil Anidjar enseigne l'histoire des religions, la littérature comparée et les études moyen-orientales à Columbia University, à New York. II est l'auteur de The few, the Arabi A History of the Enemy (Stanford University Press, 2003) et de Blood : A Critique of Christianity (Columbia University Press, 2014). II a également édité et traduit en anglais un recueil des écrits de Jacques Derrida sur la religion : Acts of Religion (Routledge, 2002). Son premier livre traduit en français, Sémites. Religion, race et politique en occident chrétien, a paru en 2016 aux Editions Le Bord de l'eau.
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