Verdier - Novembre 2021
Dans Totalité et Infini, Lévinas écrit : « Être corps c’est d’une part se tenir, être maître de soi et, d’autre part, se tenir sur terre, être dans l’autre et, par là, être encombré de son corps. »
Organisme vivant composé d’une multiplicité de parties, par lequel on advient à l’être, le corps n’apparaît jamais à la conscience que par l’évidence immédiate du sentiment d’union que notre âme forme avec lui. Assise de l’identité personnelle de la subjectivité, réalité vécue, le corps est corps propre, qui suppose toujours la présence de l’altérité en nous. Procédant de la reproduction de deux corps sexués qui nous précèdent dans le temps, notre corps est toujours en partie le corps d’un autre. Irréductible à un mécanisme qu’il s’agirait de mettre en mouvement, le corps est aussi expérience intime de la puissance vitale. Elément essentiel de notre rapport au monde, c’est par la maîtrise de sa puissance que nous transformons la nature pour y faire notre demeure et nous maintenir dans l’existence. Il est extériorisation de la force par laquelle nous subsistons. Mais, parce qu’un corps n’est jamais qu’un corps en devenir, il est aussi marque de faiblesse, expérience de la souffrance et de la finitude de l’existence, rappel d’une mort certaine.
Enfin, le corps se décline toujours au sein d’une multiplicité, il est aussi une puissance limitée, aux prises avec d’autres corps, qui interrogent notre capacité à faire communauté. Le corps est ce par quoi nous sommes confrontés à l’épreuve du collectif.
Frappé d’une ambivalence dans la structure de la vie humaine, le corps, plutôt qu’une entité opposée à l’esprit, n’apparaît-il pas fondamentalement comme un entre-deux, au croisement de l’ipséité et de l’altérité, de l’unité et de la multiplicité, de l’activité et de la passivité ? Qu’en est-il alors de son statut métaphysique ? Et pourquoi le corps a-t-il bénéficié d’une position privilégiée, au point de devenir le modèle de toute organisation de la vie collective ?
Telles sont les questions que nous avons voulu explorer dans cette dix-huitième livraison des Cahiers d’études lévinassiennes.
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